Download PDF | Nicolas Drocourt_ Élisabeth Malamut - La Diplomatie Byzantine, de l'Empire Romain Aux Confins de l'Europe (Ve-XVe S.)-Brill (2020).
478 Pages
Introduction
Nicolas Drocourt
Le temps est heureusement révolu ow !’on pouvait regretter que la diplomatie byzantine attende encore son historien. S’il y a plus d’un demi-siécle, lors du Congrés International des Etudes Byzantines de Belgrade en 1961, Dimitri Obolensky établissait ce constat!, force est de constater que ce domaine de la byzantinologie a depuis largement progressé.
Il connait méme aujourd’hui un grand essor. Depuis plus de trente ans, nombreuses ont été les études — tant de synthése que sur tel aspect ou événement précis de l'histoire de la diplomatie — qui ont été publiées sur la question?. D’une manieére générale, les historiens s‘entendent pour reconnaitre a ce secteur d’administration de l’Empire une importance capitale pour la pérennité — voire la survie — de l’Empire, depuis ses origines jusqu’a sa chute en 1453%.
Entrevue sur le temps long du millénaire associé a la période historique de l’Empire de Byzance, l’activité diplomatique démontre a quel point elle a pu obéir a des constantes, tout comme elle a di, et souvent su, s’adapter, notamment au contact de la propre évolution de ses multiples voisins. Cest précisément dans cette optique qu’une Table-ronde s'est tenue en aout 2016 a Belgrade. Réunie a l’initiative d’Elisabeth Malamut et de l'auteur méme de ces lignes, elle a été préparée en lien avec la thématique générale retenue pour le 23°"* Congrés International des Etudes Byzantines (Byzantium — A world of changes), de nouveau organisé dans la capitale serbe.
Il nous paraissait précisément opportun d’appréhender la diplomatie en la passant au crible de cette problématique des constances et des changements, tout en invitant jeunes chercheurs et historiens confirmés a confronter leurs points de vue. Au-dela de cette seule et apparente opposition entre permanence(s) et mutation(s), une grande liberté avait été délibérément accordée aux participants dans le choix des événements traités, des acteurs appréhendés ou des séquences chronologiques couvertes. D’une certaine maniere, il fallait rendre justice a une diplomatie qui, vue depuis Constantinople au moins, s’était déployée tous azimuts pendant plus de mille ans. De fait, sile lecteur pourra ici s'appuyer sur des cas précis, dans le temps et/ou l’espace, de contacts de cette nature, il trouvera aussi des réflexions qui dépassent ces cadres et qui invitent donc a réfléchir a la longue durée.
Effet sans doute d’un passage d’un Age historiographique 4 un autre, les travaux des byzantinistes et des médiévistes plus largement ne sont plus seulement réservés aux seules relations bilatérales, mais élargissent au contraire les perspectives*, Le but en est sans doute d’aboutir, du moins de proposer, une réflexion plus cohérente qui tente de comprendre la diplomatie impériale comme un tout®. Celle qui est davantage centrée sur l’Occident médiéval vient tout juste de connaitre un premier essai de synthése magistrale®. Les byzantinistes pourront s’en inspirer quoiqu’ils ne soient pas en reste dans ce renouveau historiographique. Rappelons juste rapidement que leurs travaux ont porté une attention soutenue 4 plusieurs themes. Certains d’entre eux méritent d’étre évoqués ici, du fait que les recherches actuelles s'appuient naturellement sur leurs acquis.
La dimension politique et géopolitique des échanges officiels entre Byzance et ses voisins a été sans doute la plus traitée. Ce constat ne saurait surprendre tant les sources narratives dont on dispose traitent souvent en premier lieu de ce theme. I] concerne par exemple la réaction et I’attitude diplomatiques de Byzance face a l’émergence de nouveaux voisins et acteurs dans le domaine géopolitique. Méme questionnement au sujet de l’évolution de la politique impériale face 4 des partenaires dont les prétentions hégémoniques constituent un défi a l’Empire byzantin - songeons par exemple aux califats abbasside, ou fatimide, a l’empire bulgare, ou aux prétentions carolingiennes, pour en rester au seul haut Moyen Age’. Des telles études ouvrent la voie a une réflexion globale sur la géopolitique byzantine analysée par des byzantinistes®, comme des non-byzantinistes du reste.
Par ailleurs, les protagonistes et acteurs majeurs de ces contacts que sont les ambassadeurs ou envoyés officiels ont bénéficié d’un intérét régulier. La encore, l'ensemble de la période médiévale est concernée!®. Le souci comparatiste a pu tenter les historiens, particuliérement pour la période médio-byzantine, quoique de manieére limitée!. Au-dela des seuls hommes, les objets dont ils s’entourent, qui se déplacent au rythme des allers et venues des délégations, ont logiquement intéressé de prés les chercheurs. II faut ici penser aux dons!*, ou aux lettres et documents écrits!5 — si symptomatiques des échanges diplomatiques, comme de Iactivité des chancelleries pour ces derniers.
Les conditions de déplacement des délégations, les dangers rencontrés, sur terre comme sur mer — bref, le quotidien des émissaires et légats lorsqu’ils ne sont pas en train de négocier — ont eux aussi été appréhendés"". Par ailleurs, la diplomatie est faite de codes et de toute une rhétorique gestuelle qui invitent les historiens a relire et réinterpréter les sources a l’'aune des rituels de cour. Au-dela des échanges oraux bien réels et associés 4 toute rencontre, fit-elle officielle, c’est toute une communication symbolique qui émerge de nos sources. Les byzantinistes n'y sont pas restés insensibles'®. Il est vrai qu’ils disposent d’une source exceptionnelle avec la codification et compilation palatine du De cerimoniis, en plein coeur du millénaire byzantin, texte qui a regu une attention réguliére des chercheurs, attention accrue ces derniéres années!®, En outre, les rencontres directes entre les basileis et d’autres souverains, particuliérement a partir de 1081 et de la dynastie des Comneénes, ont donné lieu, trés récemment, a une relecture appuyée sur les travaux de médiévistes occidentalistes!”.
Ces thémes de recherche, dont la liste n’est nullement exhaustive ici, témoignent de l’'ancienneté comme de la vitalité des travaux sur la diplomatie byzantine!®. Le présent volume souhaiterait s'inscrire dans cette lignée. Il présente de la sorte des contributions qui ont été regroupées en quatre parties. Nous suivrons, pour les trois premiéres, le déroulement chronologique des mille ans qui séparent le v° s. de la chute de l’Empire en 1453, en respectant un découpage désormais traditionnel au sein des études byzantines et qui a fait ses preuves pour l’analyse de la diplomatie!®. Deux contributions ressortissent tout d’'abord a l’époque dite proto-byzantine (v°-vI¢ s.), autour d’ « Une diplomatie en transition ».
Les trois articles suivants apportent un éclairage sur le coeur de la période médio-byzantine (1x*-x® s.), en visant a « Rechercher et identifier les acteurs de la diplomatie byzantine ». La fin de la période et les lendemains de 1204, puis de 1261 avec la reprise de la Ville par Michel vi11, sont appréhendés par trois études. Elles mettent en exergue, chacune a leur facon, « Le poids de l’Occident dans la diplomatie byzantine » de cette période. Deux dentre elles privilégient un épisode précis réévalué dans de nouvelles perspectives, alors que la troisiéme porte son regard sur une thématique et une analyse qui couvrent les régnes des deux premiers Paléologues. Enfin, quatre articles se concentrent sur une réflexion ou un théme dans le cadre de la longue durée (« Permanences et mutations. Le temps long de la diplomatie »), recoupant tout ou partie les trois périodes historiographiques citées précédemment.
En terme de géographie, les espaces entrevus dans ces douze études illustrent pleinement l’activité de cette diplomatie et son large rayon d'action. Tant YOccident chrétien et européen que les marges septentrionales — balkanique ou russe, marges vues de l’Empire — ou encore le monde de |’Islam sont en effet en arriére-plan des contributions ici réunies. De ce fait, ces derniéres rendent justice a l’activité intense de la cour impériale en matiére de politique extérieure, activité dont les effets se firent quelquefois sentir dans des lieux fort éloignés de son centre organisateur et du cceur politique de l’Empire, Constantinople principalement. Certes, une attention plus soutenue est dévolue dans cet ouvrage aux relations diplomatiques avec les puissances d’Europe de l'Ouest. Cela est lié tant aux choix d’étude et compétences des chercheurs ayant pris part 4 ce volume, qu’aux options méme de la diplomatie impériale. A titre d’exemple, les alliances matrimoniales avec des souverains chrétiens et occidentaux ont été des choix récurrents de la part des basileis?°.
Rappelons aussi que le but de ce livre n’est nullement de couvrir in extenso l'ensemble de ce que fut la « diplomatie byzantine ». accent a volontairement été mis sur la variété des approches (historiennes et historiographiques), des themes appréhendés comme des partenaires concernés, etc. Dans ce cadre, la problématique transversale et principale, sans exclusive toutefois, demeure bien celle des continuités face aux inflexions ou aux ruptures — tant dans les conceptions que dans les pratiques de la diplomatie.
D’adaptations et de mutations, l’Empire romain d’Orient des v°-vI° s. y est nécessairement contraint dans le contexte politique et militaire qui est alors le sien. Les effets de ce contexte sur la diplomatie sont au cceur de la réflexion d’Audrey Becker qui ouvre ce volume (From Hegemony to Negotiation : Reshaping East Roman Diplomacy with Barbarians during the 5th Century). A la suite d'un travail doctoral qu'elle prolonge ici, elle s’attéle 4 mesurer les effets du passage d’une situation d’hégémonie occupée par I’Empire a celle ot la négociation avec des interlocuteurs multiples, puissants et, plus d’une fois, menacants, est devenue aussi indispensable, ou nécessaire, que réguliére. Deux éléments principaux sont pris en compte. D’une part, l’idéologie impériale a été impactée par l’émergence d’une valorisation de la paix acquise par l’empereur par le biais de la diplomatie.
D’autre part, cette nouvelle situation d’hégémonie partagée implique de nouvelles considérations du souverain dans le choix de ses ambassadeurs. Durant cette période, les guerres entre Byzantins et Perses sont restées célébres, non seulement parce qu’elles furent fréquentes, mais aussi parce qu’elles furent entrecoupées de tractations aboutissant a des traités de paix qui, pour certains, nous sont connus. La question du sort des exilés et transfuges y fut considérée de manieére récurrente??. Outre des raisons personnelles ou des choix politiques particuliers, des situations de siéges militaires ont pu conduire certains responsables de places fortes a prendre une telle décision d’exil dans le camp rival.
C’est ce qu’étudie Ekaterina Nechaeva (Collusion on the Eastern Front: The Strange Cases of Constantine of Theodosiopolis and Theodorus of Martyropolis) autour de deux cas précis au début du vI¢ siécle. Si les sources dont elle dispose ne sont pas toujours completes ni concordantes, elle rend compte de plusieurs éléments importants, au-dela du destin singulier de ces deux hommes. Elle souligne ainsi plusieurs enjeux. Celui de nature diplomatique et militaire que pouvaient avoir de telles défections d’une part, mais, surtout, la maniére dont, a l’évidence, de telles fuites pouvaient étre négociées avec la partie adverse, perse, de méme qu’avec le camp romain lorsque chacun des deux prenait le chemin du retour. Un va-et-vient étonnant car, du point de vue romain, ces fuites étaient assimilables a des trahisons passibles de la peine de mort que le pragmatisme de la diplomatie constantinopolitaine savait commuer en une peine moins capitale.
Reprendre les sources et les considérer sous un ceil neuf permet aussi de proposer de nouvelles interprétations dont l'histoire de la diplomatie byzantine aura toujours besoin. Jakub Sypianski (Photius entre lAssyrie et al-Andalus) en fournit un exemple stimulant, en mettant notamment en paralléle des documents connus de la communauté des historiens mais qui, pourtant, n’avaient jamais été superposés de la sorte. La question de la fameuse participation a une ambassade « chez les Assyriens » du non moins fameux érudit Photius, telle que présentée par lui-méme dans son Myriobiblon, est ainsi appréhendée de nouveau.
Le jeune historien polonais suggére que cette mission aurait pu se dérouler non pas du cété du califat abbasside mais chez son principal rival, a Youest de la Méditerranée : l'émirat des Omeyyades de Cordoue. Il convoque pour cela une source arabe du xI° siécle, l’al-Muqtabis d’Ibn Hayyan, récemment redécouverte. Si elle décrit en détail des contacts diplomatiques entre Constantinople et Cordoue a la toute fin de la décennie 830, sa mention d’un émissaire byzantin, transcrit en arabe par « Qurtiytis » pourrait étre une copie défaillante ou maladroite de Fartayiis ou Furtitis. Un tel nom le rapprocherait de celui de Photius, alors jeune savant et futur patriarche que l'on sait, 4 moins que ce nom renvoie bien sir 4 un homonyme. D’autres indices toutefois plaident en faveur de la premiere identification. Ils sont ici présentés avec rigueur et ingéniosité, sans esquiver les interrogations que de telles déductions soulévent. Un siécle plus tard, c’est le traité conclu entre les Rus’ de Kiev et les Byzantins conclu en 944 qui retient l’attention de Jean-Pierre Arrignon (Le traité byzantino-russe de 944, acte fondateur de l’Etat de la Kievskaja Rus’ ?).
Nous ne disposons que de peu de traités pour le haut Moyen Age, et celui de 944, contenu en incise dans la Chronique des temps passés dite de Nestor (en vieux slavon, xII° siécle) et transcrit a partir de l’original grec perdu, est riche denseignements??. Associé a d’autres documents comme le De administrando imperio ou la correspondance judéo-khazare, il rappelle tout d’abord a Vhistorien la grande complexité de la géopolitique septentrionale de l'Empire dans la premiére moitié du x® siécle. Byzance doit alors composer avec des voisins multiples, souvent puissants et quelquefois mouvants (Rus’, Bulgares, Magyars, Khazars ou Petchénégues). La diffusion du christianisme, tout comme la question des échanges commerciaux, sont aussi en filigrane de ce traité. Mais ce que ce dernier révéle concerne aussi la progressive mise en place de structures de nature étatique dans la principauté des Rurikides. Etabli aprés deux campagnes malheureuses des Rus’ contre le coeur de |’Empire (941 et 944), ce traité témoigne enfin de l’entrée définitive des Rus’ dans l’oikouméne byzantine — démontrant enfin combien la diplomatie se situe toujours a linterface de la guerre et de la paix.
Une autre interface doit du reste lui étre associée. Elle est celle qui relie de maniere plus ou moins étroite la politique extérieure et la politique intérieure. Cest l’un des mérites de l’étude qui suit d’Elisabeth Malamut (A propos des formules protocolaires concernant les Bulgares dans le Livre des Cérémonies : réception et correspondance) que de le démontrer. Dans ce travail, la question que soulévent les sources normatives dans notre compréhension de l'activité diplomatique est posée de maniere aigiie. Deux chapitres du fameux De cerimoniis rédigé sous les auspices de Constantin VI traitent de formules protocolaires — soit orales lors dela venue de délégations bulgares ala courimpériale, soit écrites avec les adresses aux souverains bulgares dans la correspondance officielle.
Ces formules doivent étre connues et respectées lors des contacts entretenus avec les voisins en question. Jusqu’au milieu du X¢ siécle, les relations de Byzance avec ces derniers furent aussi nombreuses que tumultueuses. Ens’appuyantsur plusieurs travaux qui l’ont précédée sur ces passages, l’historienne tente d’associer les différents protocoles a des épisodes ou des moments plus précis de cette histoire des contacts officiels entre Constantinople et les souverains bulgares. Sila rédaction dela compilation palatine a certainement conduit 4 des « mises ajour », en lien notammentaveclefameux« balletdiplomatique »del’'année9464, riennevient contredire l’idée que certaines de ces formules protocolaires sont a rattacher a des périodes plus anciennes. Les titres et fonctions choisis pour désigner dans la langue normative grecque certains représentants des élites bulgares sont aussi l'objet de commentaires et d’éclaircissements.
Assurément, les historiens de ce début de xxI°¢ siécle, fussent-ils les plus jeunes, ne naviguent pas sur les eaux de cette histoire de la diplomatie médiévale et byzantine sans prendre appui sur les travaux de leurs ainés. I] convient toutefois de savoir les dépasser en proposant de nouvelles hypothéses, en revisitant une datation ou la chronologie d’un événement. Brendan Osswald en fournit presque un cas d’école dans une courte mais suggestive étude qui nous conduit aux derniers siécles de l’Empire (Le traité de 1279 entre Charles dAnjou et Nicéphore I* d’Epire).
S’appuyant sur les travaux de l’éminent byzantiniste que fut Donald M. Nicol*5, il démontre que ce dernier a été induit en erreur en s’appuyant sur des compilations de regestes qui dataient alors de plus d’un siécle, période ot histoire scientifique avangait de ses premiers pas. De fait, Brendan Osswald reconsideére les faits et la chronologie des relations diplomatiques entre la cour d’Epire et celle de Charles d’Anjou en 1279. Audela des éclaircissements documentaires dont la communauté scientifique lui saura gré, il démontre surtout le pragmatisme de Nicéphore I d’Epire dans son rapport a la puissance angevine. En concluant alors un accord 4 son désavantage, le despote put ainsi se ménager une place dans la géopolitique du temps que de nouvelles circonstances militaires lui permettront rapidement d'affermir.
Sil’adaptation est un maitre-mot pour qualifier la diplomatie byzantine, elle gagne aussi un secteur-clé de l’activité diplomatique et de l’administration politique de l’Empire : sa chancellerie. C’est ce theme que développe avec une grande acribie Christian Gastgeber (Changes in Documents of the Byzantine Chancery in Contact with the West (Michael vi11 and Andronikos 11 Palaiologos.
Language, Material, and Address) en se concentrant sur les regnes de deux premiers souverains Paléologues (Michel vi11 et Andronic 11) et leurs contacts officiels avec des partenaires occidentaux, non sans comparaisons avec les dynasties et les décennies qui les ont précédées, depuis les Comnénes ou les Anges, et en passant par les Lascarides de Nicée. Entre la fin du x1I° siécle et le tournant des XIII®&—xIv¢® siécles, force est de constater avec lui les mutations significatives dans la production documentaire officielle — bien qu'il faille bien distinguer les lettres envoyées aux souverains (dites auslandsschreiben dans la terminologie usuelle des byzantinistes) des documents plus contractuels de type traités ou priviléges. Assurément, l’historien viennois peut compter sur une tradition historiographique 4 la fois ancienne et toujours active sur ces sujets, autant d’auctoritates modernes qu'il sait pourtant remettre en cause et dépasser quelquefois*®.
Méme si bien des originaux font défaut (sur les soixante-et-un actes recensés entre 1204 et 1327, seuls quatorze originaux sont conservés), on observe par exemple une promotion de I’usage de la langue latine au détriment du grec dans les lettres officielles, méme si cela ne se fit pas de maniere linéaire. A la fin du x11 siécle, on voit aussi apparaitre la signature autographe de l’empereur sur ces documents rédigés en latin, chose sans doute inconcevable un siécle plus tot. Plus largement d’ailleurs, la dimension ostentatoire et performative associée aux lettres officielles sous les Comnénes et les Anges s'estompe, et ces lettres renforcent de fait leur fonction principale de transmission d’informations. Par extension, la question des scribes, des traducteurs et des acteurs, d'origine latine ou non, de la chancellerie impériale est au coeur de cette longue mais indispensable étude qui témoigne des multiples transformations suivies par les premiers Paléologues, dans le contexte d’un monde occidental lui aussi en proie 4 des changements.
Cest a la reconsidération d’un autre épisode diplomatique que s’attéle Mickaél Bourbeau (Manuel 11 Paléologue en Occident (1399-1402) : La perspective de léchec confrontée aux sources). Comme il le rappelle, ce fameux épisode diplomatique associé aux derniéres décennies de l’Empire byzantin sous le coup des avancées ottomanes est considéré depuis la fin du x1x® siécle par les historiens comme ayant obtenu un résultat négatif. En reprenant les diverses sources (byzantines et occidentales), qui le mentionnent ou le décrivent, il réévalue cette interprétation : avec un contexte mieux connu et des visées plus clairement établies, il invite ainsi a ne plus interpréter cet épisode sous le signe de l’échec dans ses résultats. Au contraire, comme il I’assure « la mission [de Manuel 11] était une réponse pertinente et appropriée aux difficultés de lEmpire, répondant a la fois 4 un probleme pragmatique et cherchant a améliorer une situation ardue ».
Avec la contribution de Jonathan Shepard (The Emperor's Long Reach: Imperial Alertness to ‘Barbarian’ Resources and Force Majeure, from the Fifth to the Fifteenth centuries) s’ouvre la derniére partie du volume ow plusieurs études développent une réflexion qui couvre la moyenne ou longue durée, transcendant la traditionnelle division en trois périodes du long millénaire byzantin. S’il est bien une constante dont la diplomatie impériale se nourrit, c'est celle de la quéte d’informations fiables sur les différents voisins de l’Empire. Pour en démontrer la place et la portée, Jonathan Shepard fait feu de tout bois en déjouant ou en surmontant le silence relatif des sources narratives traditionnelles, pour mieux se tourner vers les ressources sigillographiques ou numismatiques.
Les premiéres, au rang desquelles il faut compter les chroniques grecques le plus souvent rédigées 4 Constantinople, permettent de saisir le flot de ce qu’il nomme les « grandes ambassades », mais elles ne rendent guére compte de contacts de plus bas niveau, comme ceux qui sont frontaliers par exemple, ou d’autres mouvements d’acteurs diplomatiques non moins importants. Son attention est particuliérement portée sur les voisins lointains et/ou nouvellement arrivés sur la scéne internationale. Non seulement Constantinople tient compte de tels voisins, mais en plus elle sait les intégrer dans la logique de ses intéréts géopolitiques. Cela implique une bonne connaissance de ces partenaires et renvoie en outre a une stratégie souvent répétée : trouver des alliés de revers pour nuire a des voisins plus directs ou plus dangereux vus du Bosphore (par exemple, jouer la carte des Samanides contre les intéréts abbassides, ou celle des Plantagenéts pour contrer les ambitieux empereurs romains germaniques).
Le silence relatif des sources est aussi une question qui taraude le chercheur qui souhaite mieux comprendre la diplomatie serbe présentée par Nebojga Porcié (Permanence and Change in Serbian Medieval Diplomacy). Les liens du monde serbe avec Byzance sont étroits et anciens, et ils ont nécessairement pesé sur le destin de la diplomatie serbe2’. Des permanences, tout comme des inflexions, dans les options et les buts avoués de cette derniére avec ces nombreux voisins occidentaux, balkaniques et byzantins du x® au xV° siécle sont sensibles, trés liées au contexte international. Mais d’autres mutations sont perceptibles en tenant compte de sources écrites comme les textes hagiographiques relatifs aux premiers Nemanjides ou les propos liminaires des chartes produites par les souverains. C’est ainsi 4 une féconde analyse du champ lexical que se livre I’historien serbe : aux proclamations de « restauration» ou «renforcement» du pouvoir des premiers Nemanjides suit l'affirmation de « puissance » et de « gloire » de leurs successeurs un siécle plus tard, alors que la « sagesse » oules« miracles » abondent dans les textes lorsque les souverains serbes sont pris en tenailles entre Hongrois et Ottomans. D’autres changements sont a l’ceuvre et ressortissent aux choix des hommes envoyés en mission, tout comme 4 la présence croissante des souverains serbes eux-mémes dans l’activité diplomatique.
La lecture privilégiée des sources dont les médiévistes disposent, tout comme de l’historiographie moderne qui leur a emboité le pas, pourrait faire croire que cette activité politique n’est que l’apanage du sexe masculin. En réalité, comme le démontre Nike Koutrakou (Summit Diplomacy with a Female Face: Women as Diplomatic Actors in Byzantium from the nth to the 15th century), les femmes sont bel et bien présentes — et pas uniquement lorsqu’elles sont mariées a des princes étrangers pour satisfaire les choix diplomatiques des basileis. Aprés l’exemple donné par la fameuse Anne Dalasséne a la fin du xI°¢ siécle, les cas se multiplient dans les sources de femmes qui interviennent au sommet du pouvoir dans cette optique. Leurs interventions ne sont toutefois pas limitées a la seule préparation d’alliances matrimoniales ou 4 l’accueil solennel de délégations étrangéres a la cour?®. Dans plusieurs cas, elles prennent non seulement part aux tractations, mais apparaissent méme a l’initiative de certaines d’entre elles, en particulier quand le sort interne de la cour est en jeu. Il nest pas rare dans ce cadre que leur présence pése jusqu’au domaine militaire, guerre et paix étant si étroitement liées par la diplomatie précisément.
Plusieurs figures féminines émergent donc — parmi lesquelles Théodora Raoulaina, Berthe de Sulzbach, Théodora d’Epire, Marie Cantacuzéne depuis la cour bulgare, ou encore Iréne Asanisa Cantacuzeéne, entre autres. Nike Koutrakou observe que leurs actions diplomatiques se cristallisent particulierement lors des moments de crise, et elle démontre qu’il convient certainement de ne pas appréhender leur présence sous le seul signe d’une histoire genrée, mais qu'elle constitue bien la preuve d’un effort pragmatique des cours souveraines aux réalités qu’elles traversent?9.
Enfin la derniére étude du présent ouvrage, la seconde de celles proposées par Elisabeth Malamut (Les Alliances matrimoniales dans la diplomatie byzantine du 8° au15° siécle : une stratégie dynastique revisitée sur la longue durée), tend a démontrer la place majeure occupée dans l’activité diplomatique par les alliances matrimoniales contractées par les souverains byzantins avec les cours et puissances voisines. A ce titre, elle observe un avant et un apres VIII® siécle, lorsque ces alliances se font de plus en plus fréquentes, quoique toujours avec des partenaires chrétiens, a de rares exceptions prés. Sur la longue durée, elle démontre combien ce type de mariage au sommet n’a pas uniquement des effets sur la politique extérieure, mais bien aussi sur sa politique intérieure. Si un certain nombre de ces projets d’alliance n’aboutit pas, ou se cantonna seulement a des fiangailles, la plupart accompagna de prés les options géopolitiques des basileis qui les décidérent. De fait, leur étude quasi- sérielle, comme s’y emploie dans ce chapitre l’historienne, établit que le choix d’époux ou d’épouses par la cour impériale fut toujours révélateur des intéréts politiques des souverains de cette cour sur la scéne « internationale » du long Moyen Age.
A cet égard, certaines dynasties—comme celle des Comneénes-— oucertaines périodes — comme celle de la reprise de Constantinople par les Nicéens en 1261 — s'avérent symptomatiques d’inflexions assez nettes dans ce qu'il convient bien d’appeler des stratégies complexes d’alliances matrimoniales. Y émergent des destins singuliers, a l’instar d’une Marguerite-Marie de Hongrie, épouse d’Isaac 11 Ange qui relie a elle seule lacour byzantine avec celles de Hongrie, de France et d’Antioche, et qui est a la fois « pierre angulaire et pont entre l’Orient et l’Occident ». Enfin, par-dela les siécles, certains voisins de l’Empire — les couronnes bulgares et serbes par exemple, ou encore le lignage des Montferrat — auront été plus privilégiés que d'autres dans ces stratégies matrimoniales, assurant des « fils durables » avec Byzance. Un tel écheveau, dont la complexité est ici expliquée et mise en perspective dans la longue durée, s’avére ala fois le symbole et le produit de la diplomatie byzantine.
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