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Résumé :
Les nouvelles méthodes de navigation durant le Moyen Age Le navire de commerce à voile est propulsé par le vent et doit donc suivre cette direction générale. La navigation peut se définir selon un aspect d’abord stratégique comme le choix d’une route en tenant compte des contraintes imposées par le vent et un aspect tactique concernant le tracé et le contrôle, en cours d’exécution de cette route. 1-La navigation à vue. 1-Dans un premier temps, la navigation antique ne se réfère qu’au seul vent qui est le moteur mais aussi le guide du navigateur pour suivre la route fixée par l’observation des traces qu’il imprime sur la mer. C’est la navigation à vue. La limite de la méthode est atteinte quand le vent devient changeant au large, ce qui oblige alors une vérification de la direction par l’observation des astres.
2-La mise au point de l’estime. 2- L’apparition de l’aiguille aimantée résout en partie ce problème. L’orientation géographique entraine la mise au point, à la fin du XIIIe siècle, d’une nouvelle méthode : l’estime. L’estime est la résolution graphique des problèmes que pose le contrôle de la route choisie. Cette résolution suppose, d’une part, l’usage de la boussole et d’une orientation géographique et, d’autre part, une analyse vectorielle sur un support la carte marine qui est donc indissociable de la méthode Le plus gros défaut de l’estime est que les positions sont définies par projection dans le futur de paramètres, cap et distances parcourues actuels. Des différences sont donc à prévoir qui entrainent une zone d’incertitude sur le point estimé.
3-Les débuts de la navigation astronomique, hauteurs arabes et méridiennes portugaises. 3- Lorsqu’»au début du XVe siècle les navigateurs se lancent dans l’inconnu, obligés de suivre le vent qui décrit des boucles, les voyages s’allongent sans voir la terre pour une confrontation avec des positions avérées. La taille des zones d’incertitude obligent le navigateur a préciser sa position finale par d’autres méthodes basées sur des observations astronomiques. On peut distinguer deux méthodes : Tout d’abord, la méthode des hauteurs de 3 polaire, de 1433 à 1480 environ, qui permet de finaliser la volta et d’effectuer un atterrissage selon une route Est-Ouest. L’analyse de la technique nautique de Colomb, quin utilise cette méthode, est très semblable à celle décrite par Ibn Majid dans son traité de navigation. Il est probable qu’il y a eu transmission sans pouvoir préciser les circonstances exactes. Mais dès que les navigateurs franchissent l’équateur la polaire devient indisponible, les navigateurs doivent observer le soleil. Cette deuxième méthode est plus délicate car les paramètres du soleil changent chaque jour. Ils obligent donc le navigateur à calculer la :latitude, à partir de l’observation de la méridienne de soleil et par l’usage de tables des données solaire : os regimentos do sol. C’est cette méthode qui permet à Vasco da Gama de doubler le cap de Bonne Esperance, en 1498, ce qui marque la fin de la période étudiée. Conclusion. Pour conclure il faut remarquer que ces deux dernières méthodes sont le fruit d’une coopération entre les usagers et les scientifiques sous l’égide du pouvoir, décidé à atteindre le but fixé. C’est donc le fruit d’une véritable recherche scientifique. En second lieu, il faut également noter que les progrès de la navigation accompagnent des progrès parallèles en architecture navale, le gouvernail d’étambot, ainsi que de nouvelles procédures dans le commerce maritime. L’étude des interactions entre ces divers domaines reste à faire. Mots Clés: Navigation à vue. Aiguille aimantée. Estime. Portulan. Hauteur de polaire. Volta. Méridienne de soleil. Latitude. Regimentos do sol. Edrisi. C.Colomb. Ibn Majid. Vasco da Gama.
4 Résumé: New Navigational Methods during the Middle Ages A sailing vessel is pushed forwards by the wind in the general direction towards it is blowing. Navigation should comply with strategic goals: i.e. the choice of a route to a port of destination, taking into account this wind constraint. A tactical aspect is involved when following this route and checking, the entire voyage long, the good guidance of the ship. Part I- navigation by visual contact. 1-In the first ages of navigation, the mariner is referring to the sole element at his disposal: the wind. It gives him elements for the direction to choose, if it is a convenient time for sailing and also it supplies the means of checking and controlling the course of the ship, by observation of the marks it is printing on the surface of the sea. Variable wind is the limit of this method. In this case, only sky observation can give an indication of the direction to follow. Part II- Dead reckoning Navigation. 2- The finding of the magnetic needle solves this problem and from this new tool, a new navigation method is implemented, around the end of the XIII.th century. Dead reckoning is a way to determinate ship’s position at any moment, using a vector analysis for solving graphically the problems that checking the chosen course can induce. This graphical method is using the compass indications and needs necessarily using a marine chart. The main problem of dead reckoning is that, using present data to reckon future positions , any error in assessing these data supposes an uncertainty in this position. Correction of the route is necessary by verifying with actual land falls. Longer the voyage without such confrontation and bigger the uncertainty zone to be faced.
Part III- The beginning of astronomical navigation, Arab polar depth and Portuguese meridians. 3-In the beginning of the XV.th century, Portuguese mariners started to run the open ocean. They had to follow the wind which runs along a long loop across the ocean, la volta. Therefore running in the open seas, without any land to be seen, in order to check the actual position, obliged mariners to elaborate new methods based on astronomical observations in order to reduce the size of this uncertainty zone, when arriving to the landing point. A first 5 method is based on the observation of the pole star depth; between the years 1433 to 1480.
It is based on observation of the pole star depth. Analysis of C. Columbus nautical art shows similarities with the written work of Ibn Majid, his contemporaneous Arab nautical expert. Crossing the equator line made the polar star not available any more. Therefore, the method had to be changed and the second method involved sun observations. This is more complex as the sun data are changing every day. Therefore mariners had to reckon the latitude, using the observations of the meridian line and using of sun data tables: the so called regimentos do sol. Through this method Vasco da Gama was able to reach the Indian Ocean after passing the Cape of Good Hope. This closes the period of this study. Conclusion.
The conclusion should take into account the fact that these astronomical methods were not entirely empiric but the result of a joint research of users, mariners and scientists. This endeavor was made possible because a central power, the Infant first , then King Joao II, were willing to proceed more south and gave their mariners the technical means to do so. A second conclusion observes that progress of navigation were accompanied by parallels progresses in naval construction and maritime new contracts and ways of handling commercial matters. There are surely interactions between these three domains, but we have still to put them into evidence. Key words: Visual landmarks navigation. Magnetic needle Compass. Dead reckoning. Nautical chart. Pole star depth. Volta.Meridian line position. Latitude. Regimentos do sol. Edrisi. C.Colomb. Ibn Majid. Vasco da Gama.
-Introduction générale
On entend par navigation l’organisation d’un voyage par eau vers un point déterminé. Comme toute entreprise volontaire humaine, elle se définit par un objectif, une mobilisation de moyens en vue d’atteindre ce but, des modalités d’application de ces moyens et, enfin, un contrôle suivi du développement de cette action vers ce but. On définit l’objectif comme le port de destination. La mobilisation des moyens concerne le navire et surtout son mode de propulsion qui est dès le départ, soit l’aviron, la voile, l’action du courant ou encore une combinaison de ces moyens. Les modalités comprennent les techniques employées et aussi la route à suivre, car il y a interaction entre les moyens choisis et la route suivie. Le domaine se divise accessoirement entre navigation maritime ou fluviale, encore que les anciens ne distinguaient pas forcement les deux. En revanche, une distinction essentielle dans notre propos vise la finalité du voyage qui peut être une expédition guerrière, la pèche ou le transport de passagers et/ou de marchandises, le commerçant étant un voyageur qui accompagne ses marchandises. En ce qui nous concerne, nous ne nous intéressons qu’à la navigation de commerce. Cette histoire est un parfait raccourci de la démarche technicienne. A partir de moyens entièrement sous l’influence directe des contraintes naturelles : la navigation à vue, le navigateur a essayé de s’en affranchir par des méthodes empiriques, l’estime qui lui a permis d’augmenter son domaine d’action, jusqu’au moment où cette méthode a atteint ses limites. Il était alors temps de faire appel à la recherche appliquée, et c’est le début de la navigation astronomique. Car, c’est, vers l’astronomie que le marin s’est tourné. L’intervention de cette science dans le domaine nautique constate l’existence de constantes, par exemple la hauteur de la polaire au dessus de l’horizontale, en un lieu.
Cependant, dès que l’on change de lieu d’observation, cette constante change de valeur. Il faut donc considérer que l’observateur est placé sur notre planète et que cette place n’est pas indifférente en ce qui concerne l’aspect des objets observés. Le lieu d’observation fait partie du vaste monde. On doit donc intégrer le 19 lieu d’observation dans cette science et on parle désormais de cosmographie. On admet par là que le lieu d’observation a une influence sur l’observation. De là à conclure que l’inverse est possible : c’est-à-dire que par la mesure des valeurs astronomiques, on peut en déduire la position de l’observateur sur son support terrestre, il n’y a qu’un pas, qui sera confirmé par l’expérience. Donc, désormais la cosmographie a des conséquences en géographie. L’homme se situait dans son milieu terrestre par des mesures terrestre prises sur le sol, c’est-à-dire, qu’il arpentait le sol en le mesurant par des pas ou au moyen de chaînes d’arpenteur ou de perches. Ces mesures étaient prises par rapport à des repères empruntés au paysage qui l’entourait. La cosmographie va ajouter désormais ses mesures propres : la latitude, par exemple. Donc de l’astronomie on arrive de proche en proche à des repères au niveau géographique. On peut même garder ces données en mémoire, en les reportant sur un support cartographique. Parallèlement à cette évolution qui relie ces sciences de base, se développent des applications dans les aspects concrets de la vie quotidienne. C’est ce que résume parfaitement Ibn Yunus au début de ses tables hachémites rédigées au début du XIe siècle : « L’observation des astres est en lien avec la loi religieuse, car elle permet de connaître l’heure des prières, celle du lever du soleil, qui marque l’interdiction du boire ou du manger pour celui qui jeûne au moment où l’aurore se termine, de même, celle du coucher du soleil dont la fin marque le début du moment des repas afin d’y accomplir la prière correspondante et aussi de connaître la direction de la kaba pour tous ceux qui prient, également connaître le début des mois et quels sont les jours où intervient un doute1 et de connaître le temps des semailles, de la fécondation des arbres2 et de la cueillette des fruits et de connaître la direction d’un lieu à partir d’un autre et de se diriger sans s’égarer » 3 Car, ce qu’il veut dire, c’est qu’à partir du X e siècle, avec le développement des sciences exactes, dans le contexte bien précis d’une société musulmane organisée, on demande aux savants des diverses disciplines la solution d’un certain nombre de questions d’ordre pratique, à incidence sociale ou religieuse C’est ainsi qu’il revient aux astronomes, par exemple, de pouvoir répondre techniquement aux
demandes des astrologues dont le rôle social officiel reste important à cette époque; les tables astronomiques pour le calcul de la position des astres seront dressées en particulier dans ce but. Mais surtout on met les astronomes à contribution, pour résoudre les problèmes pratiques de calendrier, d’heures, ou d’orientation sur terre et sur mer4 . C’est ce qui explique, en partie, l’apparition des arabes dans ce sujet. En effet, on peut dire que l’astronomie occidentale médiévale n’a existé que par le truchement des traductions des auteurs arabes. Ces auteurs ont repris l’astronomie là où l’avait laissée les grecs et l’ont menée, bien plus avant, en y ajoutant les apports perses et hindous5 . De là à transposer sur le plan nautique il n’y a qu’un pas… qu’il sera plus difficile de franchir, car l’observateur, dans ce nouveau cas, est placé sur un mobile par rapport à son support, qui n’est plus terrestre mais marin. Ceci complique singulièrement le problème en effaçant les repères fixes. Cependant dans ce domaine de la science nautique, l’évolution que nous avons succinctement résumée, dans le cadre géographique occidental se trouve calquée en parallèle dans le monde musulman6 . Là aussi, les arabes, qui ont suivi dans ce domaine, leurs prédécesseurs perses, ont été de grands navigateurs. Ils se sont donc appliqués de leur côté à ces problèmes, non sans influer d’une façon directe ou indirecte sur les occidentaux avec qui ils ont eu des interfaces reconnues. C’est la seconde raison de leur présence dans cet exposé. Résumons schématiquement cette évolution pour dégager quelques définitions, en bâtissant un petit scénario imagé. Au début l’homme a su par ses prédécesseurs que, s’il prenait son canot, et en partant sur la droite, à partir de la plage, il lui fallait suivre la côte durant dix jours pour apercevoir un cap bien caractérisé par une haute falaise tombant à pic dans l’eau. Après avoir doublé ce cap, et deux jours après, on voyait l’embouchure d’une vaste rivière. En remontant cette rivière pendant huit jours encore, on arrivait dans une contrée riche en obsidiennes si utiles pour faire des pointes de flèches acérées capables de percer le cuir de n’importe quel gibier. On est dans le domaine de la navigation à vue.
Or il existait aussi une route terrestre, pour aller dans la même contrée, en comptant le nombre de pas ou le nombre de coups de pagaie sur l’une ou l’autre route et en sachant combien on parcourt de pas à pied ou de coups de pagaie en bateau dans une journée, on peut connaître la durée d’un voyage par terre ou par eau. Ceci n’est pas indifférent sachant que par canot on peut ramener bien plus de pierres qu’à pied. On est, en précisant la mesure, entré dans le domaine de la navigation estimée. Maintenant, supposons que cette rivière a des périodes de crues où la vitesse du courant est exceptionnelle. Les huit jours de remontée n’ont plus, dans ces conditions, aucune signification, nous avons atteint une limite de l’estime. Mais, cependant, si nous remontons la rivière jusqu’au moment où l’on peut observer que le ciel a une configuration telle que nous avons été habitués à voir seulement dans cette région, nous concluons que sommes arrivés dans cette contrée. Par la même occasion, nous sommes entrés dans le domaine de la navigation astronomique. 0-1. Intérêt du sujet La navigation va avancer d’abord essentiellement d’une façon toute empirique. Cependant, dès le Moyen Age, au XIIIe siècle, un instrument nouveau, la boussole, utilisé au début comme une aide à la navigation à vue, permet de développer une nouvelle technique : l’estime, et cela, par un effort de réflexion, puisque l’expérience dans ce nouveau domaine était nulle. Il s’agit donc d’un processus d’imitation. Ne pourra être complètement garanti l’achèvement d’une tâche, que dans la mesure où quelque chose de similaire a déjà été exécuté auparavant. L’histoire de la découverte de l’Islande et du Groenland est symptomatique. Les norvégiens avaient déjà découvert les îles de l’Atlantique sans que nous en connaissions les détails. Les sagas, par contre, font entrer la suite dans l’histoire. Le processus se répète pour chaque découverte ultérieure selon un scénario identique. Un navigateur effectuant un voyage de routine sur les Féroé, par exemple, dépasse son objectif, emporté par un fort coup de vent ; au cours de sa dérive, il aperçoit une terre inconnue. Ayant été assez chanceux pour survivre et revenir raconter sa découverte, la nouvelle terre est intégrée, comme aperçue, par la communauté maritime. Un jour, poussé par une ardente nécessité, un second navigateur décide de reconnaître cette terre en vue de s’y établir. Pour cela, il reprend les traces de « l’inventeur » de cette terre. L’empirisme est donc une démarche rationnelle. Elle pose comme hypothèse : mêmes causes, mêmes effets. Notons que cette méthode est toujours actuelle, elle a même été améliorée, en ce sens que, par le biais de l’accidentologie, on se sert également de l’expérience malheureuse des victimes d’une catastrophe accidentelle pour rendre plus sûres les procédures à l’usage des survivants. Un pas va être franchi par la rationalisation et le passage au quantifiable. Il s’agit pour l’essentiel de préciser les procédures en les quantifiant. C’est la recherche de traits généraux et communs à tous les cas d’espèce constituant une expérience, ils seront utilisés pour constituer des modèles dûment formalisés. Des situations nouvelles sont entrées dans le modèle, en faisant fonctionner le modèle, on arrive à déterminer des résultats à venir chiffrés. Cette modélisation et cette quantification c’est, comme nous le verrons, l’essentiel de ce qu’offre l’invention de l’estime, qui permet de poser et d’actionner ces modèles de routes, graphiquement sur le portulan. Il faut trouver des solutions nouvelles, c’est, nous semble-t-il, l’originalité du développement de la science nautique à la fin du Moyen Age. C’est le premier essai en ce sens. On va chercher de nouvelles techniques souvent dans différentes directions, et souvent par analogie, en se servant de techniques connexes qui ont de lointains rapports avec la science nautique.
Ce fut le cas, par exemple, de l’arpentage au stade précédent. Mais on les cherchera aussi dans la science pure et la théorie, ici la cosmographie, qui permet aux astronomes de déterminer la position d’un point exact sur la terre. La solution ne fut que partielle. On put transposer le calcul de la latitude au cas particulier de la navigation, mais pas du tout celui de la longitude. Ce dernier problème dut attendre le XVIIIe siècle, et la mise au point du chronomètre par Harrison, pour commence à recevoir un début de solution. 0-2. L’importance de la question délimite la période cours de sa dérive, il aperçoit une terre inconnue. Ayant été assez chanceux pour survivre et revenir raconter sa découverte, la nouvelle terre est intégrée, comme aperçue, par la communauté maritime. Un jour, poussé par une ardente nécessité, un second navigateur décide de reconnaître cette terre en vue de s’y établir. Pour cela, il reprend les traces de « l’inventeur » de cette terre. L’empirisme est donc une démarche rationnelle. Elle pose comme hypothèse : mêmes causes, mêmes effets. Notons que cette méthode est toujours actuelle, elle a même été améliorée, en ce sens que, par le biais de l’accidentologie, on se sert également de l’expérience malheureuse des victimes d’une catastrophe accidentelle pour rendre plus sûres les procédures à l’usage des survivants. Un pas va être franchi par la rationalisation et le passage au quantifiable. Il s’agit pour l’essentiel de préciser les procédures en les quantifiant. C’est la recherche de traits généraux et communs à tous les cas d’espèce constituant une expérience, ils seront utilisés pour constituer des modèles dûment formalisés. Des situations nouvelles sont entrées dans le modèle, en faisant fonctionner le modèle, on arrive à déterminer des résultats à venir chiffrés.
Cette modélisation et cette quantification c’est, comme nous le verrons, l’essentiel de ce qu’offre l’invention de l’estime, qui permet de poser et d’actionner ces modèles de routes, graphiquement sur le portulan. Il faut trouver des solutions nouvelles, c’est, nous semble-t-il, l’originalité du développement de la science nautique à la fin du Moyen Age. C’est le premier essai en ce sens. On va chercher de nouvelles techniques souvent dans différentes directions, et souvent par analogie, en se servant de techniques connexes qui ont de lointains rapports avec la science nautique. Ce fut le cas, par exemple, de l’arpentage au stade précédent. Mais on les cherchera aussi dans la science pure et la théorie, ici la cosmographie, qui permet aux astronomes de déterminer la position d’un point exact sur la terre. La solution ne fut que partielle. On put transposer le calcul de la latitude au cas particulier de la navigation, mais pas du tout celui de la longitude. Ce dernier problème dut attendre le XVIIIe siècle, et la mise au point du chronomètre par Harrison, pour commence à recevoir un début de solution. 0-2. L’importance de la question délimite la période précise.
L’arrivée aux Indes est le résultat d’une recherche têtue qui a abouti à la mise au point de deux techniques successives : la hauteur de la polaire vers 1440 et la latitude par la méridienne de soleil vers 1470. Dans un autre ordre d’idées cette arrivée aux indes a eu un précédent, celle de l’arrivée des gréco-romains d’Egypte aux Indes au 1er siècle de notre ère. Cet évènement ne peut cependant être comparé avec le voyage de Vasco de Gama car à la différence de ce dernier il s’agissait d’un pur résultat de la méthode empirique. C’est pourquoi ces deux dates sont cependant marquantes et nous couvrirons donc l’époque qui va du 1er siècle à 1498. 0-3. Limites géographiques Reste maintenant à déterminer le cadre géographique. Etant donné que c’est par le biais de l’astronomie que la théorie s’est introduite dans la navigation, il faut se référer à la science arabe qui est passée directement dans la civilisation occidentale. Nous verrons que les navigateurs arabes ont fait de leur côté la même démarche que leurs collègues occidentaux et qu’ils les ont précédés dans le domaine de la navigation astronomique. Nous en profiterons d’ailleurs pour étudier les sources arabes qui sont nombreuses et de qualité et qui seront les bienvenues dans un domaine où elles sont plutôt rares. Nous ajouterons donc à la Méditerranée et à l’Atlantique l’océan Indien au domaine géographique de notre étude 0-4. Limites de contenu A- Manœuvre et Navigation Une distinction qui peut être faite est celle entre manœuvre et navigation pure. En effet, les anciens faisaient la distinction entre ces deux spécialités. La manoeuvre étant le domaine du maître d‘équipage ou naute, qui s’occupait de la manœuvre et du réglage des voiles et des ancres sans compter la responsabilité physique du navire et de la cargaison. Par contre, le pilote était responsable de la navigation, c'est-à-dire de la route et de la localisation du navire,
autrement dit du point. En effet, nous avons déjà insisté dès le début de l’introduction sur le fait que le navire voit ses évolutions dans l’espace limitées par ses possibilités. Il ne peut aller que dans le sens du vent. En ce qui concerne le marin, ses objectifs pourront donc être en contradiction avec ces possibilités, en ce sens qu’il aura besoin d’aller là où le vent ne le porte pas. Nous verrons qu’il faudra user de ruse et prendre des détours. Ceci définit les problèmes de manœuvre : comment user du vent pour faire aller le navire ? Mais ce faisant, il lui faut garder un œil sur la destination finale et, pour cela, savoir où il en est dans sa progression qui peut être tortueuse.
Cela définit le problème du point. Pour nous, les deux volets sont indissociablement unis, bien que faisant appel à deux spécialistes distincts. En résumé, nous appelons navigation, au sens large, les moyens que nous donne la manœuvre du navire pour assurer une progression vers l’objectif désigné, dûment contrôlée par la navigation, dans son sens restreint d’art de la localisation. D’ailleurs, les anciens, s’ils faisaient le distinguo entre ces deux spécialités, les associaient nécessairement à bord de chaque navire. Tout navire comprenait obligatoirement deux spécialistes. D’un coté, le maître de manœuvre ou maître d’équipage qui faisait aller le navire en optimisant sa marche grâce aux réglages des voile, ce pourquoi il dirigeait l’équipage, nécessaire instrument pour faire aller le navire. Conjointement, un pilote ne s’occupait, lui et son aide, que de la position et était le maître de la route. Tous deux étaient sous l’autorité du capitaine, représentant de l’armateur qui veillait, quant à lui, au bon déroulement de l’expédition maritime qui, outre ces problèmes techniques à résoudre, devait lui assurer un succès commercial. Cette troïka est attestée à travers tous les nombreux textes juridiques anciens ou médiévaux tels que le Digeste ou bien dans les statuti italiens ou les Consulats de la mer catalans, sans exclusives géographiques puisque Ibn Majid nomme ces acteurs et définit leurs fonctions. Pour la petite histoire, étant lui même un pilote, il vivait une cohabitation difficile avec les maîtres d’équipage, mais dut s’en accommoder toute sa vie, car il resta toute sa vie tributaire de contrats au voyage avec les capitaines qui l’employaient. Cette différence de point de vue s’explique par une différence de culture découlant de la spécificité de ces deux métiers. En effet le maître est l’homme qui connaît le mieux le navire pour pouvoir en tirer le maximum, il est donc attaché à ce navire et son métier s’acquiert par une expérience sur le tas, dès son plus jeune age.
Son savoir est essentiellement pratique et ne nécessite aucune culture générale. Le pilote, au contraire, est le spécialiste de la route, il reste sur cette route et passe de navire en navire au gré d’engagements successifs, son savoir-faire lui est transmis par un ancien, car il commence son apprentissage comme aidepilote, il lui faut une instruction de base pour exploiter les quelques rares documents dont il peut disposer, les périples par exemple. Le capitaine coordonne l’action de ces deux spécialistes. A la base c’est un commerçant, propriétaire du navire ou son fondé de pouvoir. Il doit avoir de sérieuses notions de droit pour conclure des contrats de transports avec ses clients ou ses bailleurs de fonds ou même son équipage.
Il doit donc avoir une solide instruction ou à défaut se faire aider dans ce domaine par un scribe ou écrivain de bord qui s’occupe de mettre au clair les contrats et tient la comptabilité du navire. Bien entendu, il ne lui est pas interdit de cumuler cette charge avec l’exercice conjoint de l’une ou de l’autre deux fonctions subordonnées, ou encore de cumuler sous une même tête toutes ces compétences selon l’importance du navire. Ces diverses spécialités nous introduisent à la distinction du paragraphe suivant. B- Commerce et Transport maritime Il faut bien distinguer navigation et commerce maritimes. Bien évidemment le lien est fort entre navigation commerciale et commerce maritime mais il s’agit de deux domaines différents bien que liés. Alors que les unités statistiques du premier sont le ducat, le florin, le dirham ou le dinar ou tout autre étalon monétaire, celles de la navigation sont le mille, la lieue marine, le tonneau, le last, le cantar ou tout autre étalon de distance, de volume ou de poids. L’index de référence de base pour le commerce, c’est le chiffre d’affaire, pour le transport, c’est le volume transporté exprimé en tonnes/milles. Bien entendu, en ce qui concerne le commerce, les notions de qualité interviennent également, car on pourra faire la distinction entre commerce en valeur et commerce en volume, selon que l’on traite de faibles volumes à prix élevé ou de grosses quantités de marchandises de peu de valeur. On pourrait, par ailleurs, croire que toutes les marchandises transportées sont destinées à être commercialisées, autrement dit que le navire de commerce ne transporte que des marchandises relevant du secteur marchand. Il n’en n’est rien, car il existe deux importantes exceptions qui ont été primordiales dans l’établissement ou le succès de plusieurs routes importantes. 1-Dans l’antiquité déjà, on sait que le transport des produits de l’annone est important en volume et aussi source d’une documentation très riche, car c’est l’objet d’une législation gouvernementale très détaillée. Or l’annone est un produit fiscal, hors des circuits marchands.
spécialistes. A la base c’est un commerçant, propriétaire du navire ou son fondé de pouvoir. Il doit avoir de sérieuses notions de droit pour conclure des contrats de transports avec ses clients ou ses bailleurs de fonds ou même son équipage. Il doit donc avoir une solide instruction ou à défaut se faire aider dans ce domaine par un scribe ou écrivain de bord qui s’occupe de mettre au clair les contrats et tient la comptabilité du navire. Bien entendu, il ne lui est pas interdit de cumuler cette charge avec l’exercice conjoint de l’une ou de l’autre deux fonctions subordonnées, ou encore de cumuler sous une même tête toutes ces compétences selon l’importance du navire. Ces diverses spécialités nous introduisent à la distinction du paragraphe suivant. B- Commerce et Transport maritime Il faut bien distinguer navigation et commerce maritimes. Bien évidemment le lien est fort entre navigation commerciale et commerce maritime mais il s’agit de deux domaines différents bien que liés. Alors que les unités statistiques du premier sont le ducat, le florin, le dirham ou le dinar ou tout autre étalon monétaire, celles de la navigation sont le mille, la lieue marine, le tonneau, le last, le cantar ou tout autre étalon de distance, de volume ou de poids. L’index de référence de base pour le commerce, c’est le chiffre d’affaire, pour le transport, c’est le volume transporté exprimé en tonnes/milles. Bien entendu, en ce qui concerne le commerce, les notions de qualité interviennent également, car on pourra faire la distinction entre commerce en valeur et commerce en volume, selon que l’on traite de faibles volumes à prix élevé ou de grosses quantités de marchandises de peu de valeur. On pourrait, par ailleurs, croire que toutes les marchandises transportées sont destinées à être commercialisées, autrement dit que le navire de commerce ne transporte que des marchandises relevant du secteur marchand. Il n’en n’est rien, car il existe deux importantes exceptions qui ont été primordiales dans l’établissement ou le succès de plusieurs routes importantes. 1-Dans l’antiquité déjà, on sait que le transport des produits de l’annone est important en volume et aussi source d’une documentation très riche, car c’est l’objet d’une législation gouvernementale très détaillée. Or l’annone est un produit fiscal, hors des circuits marchands.
définition du transport maritime comme étant un transport par mer donnant lieu à un contrat de transport. Est donc exclus du transport maritime le transport en compte propre, c'est-à-dire, le transport de marchandises appartenant également au propriétaire du bateau. La distinction entre marine de commerce et marine marchande est un peu délicate, surtout historiquement, à la naissance du transport maritime où des marchands dits parsoniers construisaient un navire pour aller vendre au loin leurs marchandises9 . Cependant, elle est bien attestée très tôt, par les textes, dans le Digeste où elle est bien spécifiée et bien avant cela, lorsque Claude interdit aux sénateurs romains de posséder des navires plus gros que ne le supposait le trafic induit par leurs latifundia et par là de devenir transporteurs maritimes pour compte de tiers. C- Histoire maritime et Histoire navale, Il faut aussi soigneusement distinguer marine de commerce et marine de guerre, qui font l’objet de deux histoires distinctes : l’histoire maritime et l’histoire navale. Ces deux domaines n’ont qu’un point commun : ils se placent en mer. Ces deux domaines sont presque totalement étrangers l’un à l‘autre sauf pour une mince frange mixte. Cette frange, c’est le domaine du corsaire, marin de commerce qui fait la guerre dans un but marchand. Il court sus à l’ennemi de la nation, mais pas tant pour le détruire que pour le capturer et vendre ses dépouilles. Entre le corsaire et le pirate qui fait le même « métier », mais complètement hors la loi, il n’y a que l’épaisseur d’une lettre de course, autorisation expresse de l’autorité qui légalise cette action de corsaire, tout en participant au partage du butin. Marine de guerre et marine de commerce se distinguent en particulier par les navires qu’elles utilisent, qui se sont spécialisés avec le temps. La galère est un navire de guerre et le bateau rond un navire de commerce. Ils sont complètement différents dans la logique de leur conception et de leur conduite car ils répondent à deux stratégies différentes.
Dans la guerre ou la compétition sportive (qui est aussi une forme édulcorée de guerre), les objectifs sont binaires : vaincre ou périr. On est dans une logique du maximum. En économie il y plusieurs optima car les objectifs sont multiples. Chaque denrée a son marché chaque marché a ses propres lois. S’il est vrai que les lois de l’offre et de la demande et de la détermination du prix sont universelles, il serait faux de penser que le prix est une donnée universelle, ce n’est vrai que dans une situation toute théorique celle de concurrence pure et parfaite. Ce qui est plutôt universel c’est la recherche du profit maximum qui est un arbitrage entre le coût de production et le prix du marché et c’est par ce biais que les objectifs deviennent multiples, car un profit maximum peut se réaliser selon différentes combinaisons où entrent le prix, le coût, la quantité mise sur le marché, mais aussi la qualité et encore aussi, des rapports entre ces paramètres tels que le fameux rapport prix/qualité etc. Il s’en suit que l’on rentre non plus dans une logique du maximum mais d’optima divers. Il n’y a plus une stratégie binaire unique mais des stratégies envisageant autant de compromis divers. Exceptionnellement, si la galère fut utilisée à des fins commerciales, surtout à Venise, c’est en raison de l’histoire particulière de cette république. De toute façon la galère en faisant du commerce est devenue la galée, son avatar marchand. On ne peut plus parler de galère au singulier comme genre unique, mais de galère sottile qui est un vaisseau de guerre et de galée qui est une galère di mercato, un bateau marchand. Ces notions économiques sont bien entendu bien postérieures à notre époque de référence, et on pourrait penser que cela ne s’applique donc pas à des situations passées où la science économique n’était pas encore inventée. Au contraire, on est parfaitement en droit d’appliquer des instruments d’analyse modernes à des situations anciennes, car ces instruments d’analyse proviennent d’une science qui est universelle.
D’autre part, on peut remarquer que les anciens avaient une conscience aiguë de ces problèmes économiques, même s’ils les formulaient tout autrement. Nous citerons entre autres exemples l’organisation des marchés par les arabes. El Bokhari10 nous explique que nul n’est autorisé à se porter au devant des caravanes pour traiter séparément avec les marchands, la caravane doit débarquer toute sa marchandise en un même lieu, le khan, où elle est exposée dans sa totalité aux regards de tous et les lots seront mis aux enchères devant l’assemblée des marchands. C’est un gros effort pour assurer les conditions d’un marché totalement concurrentiel. El-Bokhari, quant à lui, ne donne aucune raison économique à ces dispositions et ne justifie ces usages que par sa remarque habituelle : « ce sont les usages entre nous autres musulmans. » Cet exemple caravanier peut sembler hors sujet, cependant l’organisation du fondouk ou du fondaco institution musulmane du commerce maritime d’importation en est directement inspirée. Ceci étant, si nous revenons aux optiques différentes entre marins guerriers et marchands nous allons voir que ces optiques vont avoir des répercutions directes sur les types de navires en usage chez les uns ou chez les autres : la galère et le navire rond. D- La galère. Connue depuis la haute antiquité, c’est le navire de guerre typique, elle se caractérise par une coque longue et étroite pour présenter une section au maître couple la plus réduite possible afin de favoriser la vitesse11. Le moteur est un moteur humain, la chiourme, ensemble des rameurs qui propulsent le navire. Plusieurs régimes ou vogues sont envisageables, selon que l’on privilégie la vitesse ou la durée. La grande vogue12 est la mise en action de tous les rameurs, à cadence maximale, pour développer la vitesse maximum, celle d’attaque. Elle n’est tenable qu’environ une heure, par suite de l’épuisement physique de l’équipage qui se traduit par des pertes de cadence des rangs de nage les plus faibles, qui se termine en un « cafouillage » général dans les rangs de nage. A côté de cette grande vogue, on trouve la petite vogue où la chiourme, le moteur, tourne à régime lent et régulier, la cadence donnée par des tambours descend d’un cran dans le but d’économiser la chiourme, mais cette vogue ne pourra de toute façon être maintenue qu’une dizaine d’heures ce qui est suffisant car les combats n’ont lieu que de jour, la nuit masque l’adversaire, c’est la vitesse de croisière. Enfin, il est toujours possible d’adopter la vogue par quartiers, où la chiourme est divisée en quartiers qui ne voguent qu’à tour de rôle, et toujours à allure modérée. Cette vogue est adoptée pour des traversées plus longues, de quelques jours où il est nécessaire que la chiourme puisse dormir à son banc, par quartiers, autrement dit par quarts. Elle est utilisée pour les traversées au long cours, modeste long cours, car il faut faire des escales assez rapprochées. Il faut, en effet, signaler que c’est un engin de course dont le moteur, la chiourme, occupe tout l’espace utile ; il est hors de question de penser emporter la moindre cargaison. Le moteur humain est peu puissant et très gourmand en combustible, le galérien consomme pratiquement en une grosse semaine son équivalent en poids de vivres et surtout d’eau douce.
On comptait huit litres par rameur et par jour. Dont 5 litres de boisson et le reste pour la confection de la soupe de haricots, menu habituel des galères vénitiennes. C’est donc un navire que l’on pourrait comparer à nos modernes F1 de compétition automobile. Toute la capacité d’emport est occupée par le poids du moteur et du combustible. On comprend aisément que la galère soit dépourvue de charge utile, 25 tonnes en moyenne pour une galère subtile de Venise. Ceci en fait un engin qui ne peut s’éloigner durablement de ses bases, ou bien nécessite, pour des trajets un peu longs, de nombreuses escales techniques de ravitaillement. Par contre, elle est incontestablement supérieure au navire à voile dans les combats, car elle peut virer sur place, grâce à un effet contrarié des avirons, elle peut, de plus, faire route sans vent ou contre le vent où elle ne perd qu’un demi nœud de vitesse, après avoir mis ses mats sur le pont, d’après un professeur de navigation du XVIIe siècle13. Elle restera le bateau de guerre par excellence jusqu'à l’apparition de l’artillerie embarquée où l’étroitesse de son pont en fait une piètre plate-forme d’artillerie. E- Le navire de charge Il s’agit d’un navire dit rond de forte capacité ne navigant qu’à la voile. Le voilier en ce qui concerne son comportement à la mer souffre de deux handicaps, c’est en quelque sorte le jouet du vent, il ne peut se diriger vers n’importe quel point de l’horizon, il est hémiplégique, toute une moitié de la mer, celle qui est au vent, lui est interdite. Sa route est dictée par le vent et il est prisonnier de sa route comme un train sur son rail14. Il faut ajouter à cela qu’il manque de précision dans la manœuvre. C’est un trait malheureux pour un navire de guerre, car l’essentiel des combats consiste à aller au contact avec l’adversaire. Cette imprécision le gène lors des entrées dans le port qui sont difficiles à la voile seule, d’autant plus que le navire n’a pas de frein, et que les voiles amenées, il continue à courir sur son erre en raison de sa masse et donc de son inertie. Les entrées au port se feront soit à la remorque d’une embarcation à rame ou par déhalage à la main par des cordages. Ceci explique également la présence d’ancres très nombreuses15, elles ont plusieurs rôles.
Tout d’abord, elles servent au mouillage, c'est-à-dire, immobiliser le navire en haute mer, dans la mesure où il y du fond, naturellement, soit en situation d’attente (que le vent change, par exemple) soit pour des opérations commerciales, chargement ou déchargement sur rade par l’intermédiaire de barges, accons, ou gabarres. Une deuxième utilisation est de servir de frein, elles cassent l’erre d’un navire qui entre trop vite dans un port trop resserré. Enfin, elles servent à déhaler le navire sur ses ancres de jet. Ces ancres, au nombre de deux au moins, sont des ancres assez légères pour pouvoir être transportées par la chaloupe du bord16 . L’équipage est réduit, quoique très conséquent selon nos standards actuels, mais le tonnage important et surtout l’allure soutenue, jour et nuit, en font un instrument de transport à la productivité élevée et aux coûts de transports sans comparaison aucune avec ceux présentés par les transports terrestres. Si la galère est obligée de faire des escales techniques nombreuses et donc de ne pas trop s’éloigner d’éventuels ports de relâche, le voilier se trouve davantage à l’aise au large. Il faut dissiper quelques malentendus, mais nous reviendrons plus en détail sur ce sujet dans la première partie. Depuis la plus haute antiquité on savait naviguer en droiture sur de longs parcours loin des terres, et cette navigation présente, aussi paradoxalement que cela paraisse, un gage de sécurité. Pour un marin, c’est la terre qui est dangereuse, pas la haute mer, surtout pour un voilier qui manœuvre bien moins facilement qu’une galère De plus, une fois au large, il a peu de chances de rencontrer des pirates qui chassent à l’affût, embusqués dans des recoins du rivages, près de passages obligés où ils profiteront de l’avantage relatif de leurs galères pour fondre par surprise et très vite sur leur proie. Il suffit de noter pour l’instant que le voilier est plus à l’aise au large mais est bien moins manoeuvrant que la galère, ce qui donne à cette dernière une efficacité maxima près des côtes. C’est pourquoi, si on y ajoute son faible coût de mise en oeuvre, le voilier est le navire parfait pour le commerce au long cours, malgré l’inconvénient de l’imprécision relative de la navigation à voile quant à la durée du trajet, soumis au caprice des vents.
F- Ambiguïté des types de navires : galères, galées et navires mixtes. La galère est spécifiquement un navire de guerre. Néanmoins, il est certain que la galère a été utilisée à des fins commerciales, malgré ses faiblesses en ce domaine. Il faut expliquer cette contradiction. A l’origine, c’est un dévoiement de l’usage principal; les galères, navires de guerre, étaient astreintes aux différents missions d’Etat, dont certaines peu guerrières, mais d’importance stratégique. C’est ainsi que parmi les missions annexes de la marine de guerre figuraient le service de la poste et celui de la valise diplomatique17. Dans cette valise, circulait la soie byzantine qui faisait, pour les empereurs, partie de l’attirail diplomatique, servant à remercier et honorer les alliés ou les cours étrangères. Venise a commencé sa carrière maritime en sous-traitant les opérations navales dans l’Adriatique pour le compte de l’Empire byzantin. Plus tard, Venise grâce à sa préférence commerciale à Byzance, obtenue, précisément, en raison de services rendus sur le plan naval en Adriatique maritime est devenue une spécialiste du commerce oriental. Ce dévoiement est devenu la base d’un courant commercial très particulier spécialisé dans les produits de luxe et n’était qu’une partie du trafic total de Venise. Dans ce cas très particulier, le fret hors de prix, induit par la très mauvaise productivité de la galère, n’entraîne que des conséquences relativement limitées pour des marchandises chères. Pour établir un parallèle avec des situations actuelles, disons qu’il y a un marché pour le fret aérien et un autre pour le fret maritime, bien que les taux ne soient absolument pas comparables, mais les besoins sont très différents et la vitesse peut justifier cette différence.
C’est non pas une question de vitesse mais de régularité qui joue en faveur de la galère. La galère est un navire peu performant mais prévisible, c’est un bateau qui « fait l’heure », on peut calculer au départ la date d’arrivée au port final ce qui n’est pas le cas pour le voilier pur qui doit attendre le vent parfois pendant un temps interminable. Or le commerce de luxe de Venise, tel qu’il s’est consolidé et institutionnalisé au Moyen-Age, est très spécifique. La structure de ce marché fait qu’il est coincé par des contraintes de dates entre l’arrivée au Caire des épices qui dépend de la mousson, d’une part et d’autre part par la présence des acheteurs allemands en Italie qui dépend de la neige dans les cols alpins18. De plus, après 1204, Venise s’est constituée un solide empire colonial fournissant des bases sûres et nombreuses pour garantir la sécurité et la pérennité de ces escales techniques. C’est pour cela qu’elle a fait évoluer, au XIIIe siècle, la galère de guerre vers une galère marchande, un peu plus performante économiquement19 , la galée. R.S Lopez20 définit la galère comme « un navire presque aussi bien adapté à la voile qu’à la rame, au commerce qu’à la guerre. Un système complexe de voiles, de mats et de voiles comprenant quelques voiles triangulaires, dites latines, permettait à la galère de tirer parti de n’importe quel vent, en dépit d’une quille assez aplatie. » Il a raison en un sens, la galère est un bateau de vitesse, fin et étroit. Il est fait pour aller vite, on utilise pour ce faire la rame ; mais rien n’interdit d’utiliser la voile, un bateau fin et étroit va aussi très vite à la voile. A cette différence près, que cela est vrai surtout aux allures portantes. Dès que l’on se rapproche des allures du travers, le navire se met à gîter énormément. En effet, le navire est étroit et n’a aucune stabilité transversale, lui permettant, comme un navire rond, de s’appuyer sur un flanc généreux pour encaisser la gîte. De plus, navire de faible tirant d’eau, il n’a pas, non plus, de quille profonde, munie d’un lest très bas, qui puisse le redresser et compenser cette gîte. Bref, il lui manque de la stabilité de formes et aussi de la stabilité de poids, pour encaisser les vents de travers. A cette allure, il est toujours à la limite du chavirage. Donc navire fin rapide à la voile, mais difficile à tenir. Il exige, en toutes circonstances de temps, une voilure à la surface exactement ajustée au vent qui prévaut et il n’encaisse absolument pas les surventes occasionnelles. Il ne marchera donc bien en mer que s’il dispose d’un jeu de voiles correspondant à chaque régime de vent rencontré.
C’est ce que l’on appelle : « un bateau à garde robe ». Une galère a trois jeux de voiles, allant des petits airs au vent frais, en passant par les airs moyens, sans compter les voiles de fortune pour le grand mauvais temps. C’est une solution que seuls les guerriers, toujours richement dotés par les princes, peuvent se permettre. Un modeste commerçant, toujours obligé de compter pour minimiser ses coûts, devra y renoncer, sauf circonstances exceptionnelles. Poursuivons la citation de R.S Lopez concernant la galère : « Puisque les types les plus spacieux absorbaient mieux le coût de leur équipage, on tendit à les agrandir. » C’est reconnaître l’existence d’économies d’échelles21 qui sont très sensibles dans les navires et, effet, la galère d’origine, navire purement militaire, utilisée occasionnellement pour des transports spéciaux a évolué vers la galée, plus adaptée aux transports, un navire plus large donc emportant une charge utile accrue et surtout marchant mieux à la voile sous toutes les allures22 . G- La galée La galée a été mise au point par les vénitiens et copiée par les génois. La course à la taille est en fait une course au volume ; la galée n’est pas plus longue qu’une galère, elle est surtout beaucoup plus large En prenant du ventre le navire gagne en stabilité latérale et peut s’appuyer sur son flanc quand il part à la gîte. Elle comporte peu ou prou le même nombre de rameurs 160 à 190, sans vouloir entrer en compétition avec un voilier pur ses coûts de revient à la tonne/mille restent pertinents dans un marché de niche, le commerce des épices de la soie et autres produits de luxe. La galée est un compromis bâtard, entre le navire de charge rond, utilisant un minimum de personnel et donc, avec une productivité par matelot très grande, et la galère avec une productivité dans le transport minimale23. La galée est un navire mixte, marchant bien à la voile, il reste structurellement, un bateau à rame, donc fin et se déplaçant très rapidement à la voile par vent portant, il est dangereux par vent de travers en raison de cette même finesse. Au même titre, il est pratiquement inexploitable au près. Mais cet inconvénient est très relatif, puisque disposant d’une chiourme importante, il peut s’affranchir des vents contraires et des accalmies. Il tend à combiner les avantages de la galère tout en essayant de compenser sa faiblesse au niveau économique, par des traits empruntés au navire rond, il est loin d’atteindre la productivité du navire rond24. Cependant l’accroissement de productivité est semble-t-il compensé par le passage de la galère birème à la trirème25 .
Cependant au cours du XIVe siècle les galee grosse ont augmenté d’une façon significative leur port en lourd qui a atteint 200 tonnes, en moyenne, par rapport aux galee sottile qui n’ont guère dépassé 50 tonnes maximum26. Mais alors si la galée profite des économies d’échelle par rapport à la galère pourquoi la galée n’a-t-elle pas continué son évolution vers des capacités supérieures ? Continuons à citer R.S Lopez sur ce sujet : « Cependant on préféra augmenter le nombre des vaisseaux plutôt que leurs dimensions. Cette préférence peut sembler étrange : qu’est ce qui empêcha les constructeurs de miser dès le début de la révolution commerciale sur de grands voiliers tels que les bateaux de l’age des grandes découvertes ? La réponse doit être recherchée principalement dans l’économie plutôt que dans la technique. Tant qu’il fut difficile de remplir de grands bateaux d’un seul coup en ne faisant escale qu’à quelques ports, la galère dut rester assez petite pour pouvoir entrer dans un plus grand nombre de port,s havres de moindre importance et même de jeter l’ancre près de plages ouvertes27 . »Nous rejoignons en gros Lopez dans son opinion.
Il faut cependant la préciser comme suit : dans un premier temps on peut dire, contrairement à ce que semble dire Lopez, que c’est bien un problème technique qui a limité la longueur de la galée, ce problème tient à la technique de l’aviron telle que la pratiquaient les occidentaux (la nage ou la vogue), qui a limité les plans de nage, et donc, la taille de la galée. Techniquement, on savait faire des coques plus importantes ; le Rocaforte au XIIIe siècle, qui était une nef donc un voilier pur, dépassait semble-t-il les 1000 tonnes, alors que la capacité les galées contemporaines étaient restées limitées de 150 à 200 tonnes environ. Il aurait fallu pour sauter ce pas entreprendre une révolution technique dans le domaine de la propulsion à l’aviron, les exemples extérieurs existaient : la jonque de mer chinoise, bien connue des arabes qui la côtoyaient dans la plupart des ports qu’ils fréquentaient et décrite par Marco Polo, qui avait navigué dessus. Et c’est là où la remarque de Lopez prend toute sa valeur : rien n’incitait les occidentaux à faire un effort dans cette direction, la galée était compétente dans le domaine spécialisé du transport de produits chers et donc rares, dont le marché était très limité. A quoi bon faire une galée de 1000 tonnes, alors que le tonnage total des produits de luxe importé en occident, épices, parfums, tissu de grand luxe avoisinait sans doute au maximum 2000 tonnes. On peut dire que la galée avait atteint une taille économiquement optimale dans son domaine de compétence : un marché de niche. C’est sans doute, cette même raison de taille économique qui a fait que l’apparition de la jonque de mer chinoise, vers le VIIIe siècle, a stoppé l’expansion maritime arabe vers l’Est. Et pourtant, elle n’a jamais été copiée par eux, ce qui est, en effet, étrange. En effet la jonque de mer chinoise est un navire mixte et de très grosse taille, elle a supplanté le navire arabe sur les voyages de Chine, car elle pouvait, en continuant à avancer à la rame, naviguer pendant la période de calme suivant la mousson et faire le voyage de Siraf puis d’Ormuz en Chine en une seule mousson alors qu’il en fallait deux, ( avec entre les deux, un hivernage de 6 mois) soit 18 mois de l’aveu même des textes arabes, à un boutre qui ne naviguait qu’à la voile. Mais il est vrai que le marché chinois était déjà colossal et portait sur des quantités non comparables avec celles alimentant le marché arabe. Les arabes se sont donc contentés de leurs boutres, modestes, certes, mais adaptés à leurs marchés, et se sont approvisionnés en produits chinois à Malacca qui est devenu un énorme emporium. Lopez a donc pleinement raison, mais, cependant cela demeure aussi un problème d’architecture navale, et ce domaine constitue une science en soi, que nous n’aborderons pas. Cependant nous ne traiterons brièvement ce point particulier qu’en incidente et donc en note.28
H- Autres navires mixtes : le linh Mais la galée n’est pas le seul navire mixte qui a connu un grand succès. Le Moyen Age a fait un usage extensif du linh, tel qu’il est désigné dans les consulats de la mer29 ou le ligne, selon la désignation italienne et française. Le linh est le prototype du caboteur universel et effectivement on retrouve ce terme ou celui de ligne dans la Méditerranée occidentale depuis la Catalogne à la Sicile. Mais en fait les navires de cabotages sont désignés par des termes locaux très nombreux désignant des types de navire différentiés selon les régions où ils naviguent puisque en tant que caboteurs leur domaine d’action est géographiquement limité. Le terme Linh est employé systématiquement dans les textes législatifs des Consulats de la mer, recueil du XIVe siècle, écrit en langue catalane. En tant que texte juridique les Consulats de la mer se préoccupent assez peu de technique et lorsqu’ils parlent du linh, ils définissent par ce terme surtout la fonction du navire, car c’est la fonction qui définit la loi qui s’applique et non la technique de construction. Ils parlent de naos amb linhs, c’est-à-dire de navires hauturiers et de caboteurs. Selon notre lecture, lorsque les consulats de la mer traitent de naos, navires de haute mer, cette expression signifie que la loi ou l’usage décrit a un caractère universel et s’applique en tout lieu de la mer ouverte. Il transcende donc toute règle particulière locale qui pourrait s’appliquer à certaines navigations de cabotages limitées a une région et donc susceptibles d’obéir à des règles locales et définies, par opposition, par l’usage du linh. Nous conserverons donc le terme de linh en gardant à l’esprit que ce terme peut designer des navires de types divers mais dont certaines caractéristiques restent communes parce que imposées par leur métier de cabotage.
Le cabotage au Moyen Age découle du fait que dans l’économie du transport, chaque ville est dépendante de son contado. On désigne sous ce terme, l’espace de campagne qui nourrit, au jour le jour, la cité. Il fournit les fruits et légumes, les volailles etc. Car ces produits exigent de la fraîcheur. Mais il est d’autres produits dont la valeur est très faible et qui ne peuvent donc être déplacés que sur des distances réduites pour ne pas obérer leur prix. C’est le cas du bois de chauffage, du fourrage pour les bêtes de trait appartenant à des commerçants urbains30. La dimension du contado ne dépasse pas, très approximativement, une journée de voyage ; c’est l’unité de temps qui définit d’une façon pratique la notion de la proximité géographique. D’une part, il n’y a aucune comparaison entre les coûts des transports terrestre et maritimes, un rapport de 1 à 7, pense Pegolotti31 dans sa pratica della mercatura. C’est ce qu’il a calculé pour le passage des laines anglaises qui vont en Italie par la route des deux mers, connue localement comme la route du stockfisch. Elle va de Libourne à Arles, par terre, puis par mer vers la Provence ou l’Italie. C’est ce différentiel des coûts de transports qui ont fait que toutes les grandes villes se sont développées sur un cours d’eau navigable ou en bord de mer, car la côte joue le rôle d’une rivière, on parle par exemple de Gênes et de sa riviera. Le cabotage est donc essentiel à la survie des grandes villes, surtout quand on considère que la taille des caboteurs est modeste et qu’ils peuvent donc remonter les fleuves. En effet, un linh est un petit bateau qui charge au maximum 40 tonnes pour les plus gros. De tirant d’eau réduit, il est donc capable de charger à partir de la plage sans installations portuaires; les hommes viennent dans l’eau jusqu'à la taille pour charger le navire. D’autre part, un tel bateau peut naviguer, jour et nuit, et est censé couvrir 100 milles de 1500 mètres dans ces 24 heures, soit 150 kilomètres à comparer aux 35 kilomètres que l’on peut couvrir avec un animal de bât dans la journée. Il agrandit terriblement, donc le rayon économique et géographique de l’étendue du contado.
Le cabotage s’exerce dans des conditions qui différent de celles du long cours ; il obéit donc à des règles économiques qui lui sont propres. Les trajets sont courts, ils doivent être fréquents. Une règle économique non écrite, mais bien pratique, en ce qui concerne une approche rapide de la rentabilité du transport, exige que le temps à la mer soit au minimum égal à celui passé au port. Les voyages sont courts, les opérations commerciales, chargement et déchargement doivent donc être très rapides. Au contraire du long cours, il est donc obligatoire que l’équipage participe au chargement du navire. Ces bateaux, fréquentant des criques non équipées, ils chargent des marchandises volumineuses, souvent fournies par un chargeur seul. Un seul bûcheron livrant sa seule production hivernale, peut facilement fournir un volume qui emplisse un tel bateau, mais ce même bûcheron est bien incapable de le charger, à lui seul, en quelques heures. Ces bateaux étaient relativement bien plus armés qu’au long cours, c'est-àdire fournis avec un équipage relativement nombreux, 12 hommes au minimum, mais moins de 20 au maximum, l’équipage est donc suffisant pour effectuer la manutention . Un autre élément est à entrer en ligne de compte, en route libre, si le vent est bon, la vitesse est conséquente, ce sont les manœuvres qui consomment du temps et donc restreignent les milles parcourus, entrée et sortie du port, prise de mouillage etc. Donc, étant donné la taille restreinte du navire et la présence d’un équipage relativement nombreux, deux paires de gros avirons, sans prétendre pouvoir être une alternative valable à la propulsion par la voile seule, aident à gagner un temps considérable, pour prendre le vent sans « cafouillage » ou entrer et sortir du port, indifféremment que le vent soit du large ou de terre, sans devoir attendre la renverse. Bref, avec sa grosse douzaine d’hommes et chargeant et déchargeant pendant les heures de jour et navigant de nuit ce linh est un instrument de transport sur courte distance bien plus économiquement efficace qu’un convoi terrestre d’ânes de bât32 .
0-5. La méthode Pour un technicien dans la matière concernée, une méthode semblerait évidente : c’est celle de la mise en situation. D’après cette méthode, il faudrait pouvoir se poser les mêmes problèmes que nos anciens et essayer de les résoudre en tenant compte des contraintes et des moyens de leur époque. Il faut apporter à ceci trois importantes corrections. 1-Tout d’abord, il est difficile de se mettre tout à fait à la place de nos anciens, Nous avons appris bien des choses depuis leur époque dont nous ne nous rendons même pas compte, tellement elles nous semblent naturelles par éducation. Par exemple, il est difficile de s’imaginer pouvoir résoudre des problèmes de navigation sans savoir calculer. C’était, en partie, le cas, car les navigateurs du Moyen Age ne savaient pas poser une opération arithmétique simple.33 Ils ne calculaient que de tête et uniquement en nombres rationnels. Les quatre opérations de base n’ont été mises au point qu’au XVe siècle. 2-D’autre part, l’expérience montre que tout problème comporte, non pas une, mais des solutions. Rien ne garantit donc qu’à une solution qui nous semble claire n’ait pas été préférée une autre, moins évidente à nos yeux, mais tout aussi efficiente. Aussi, sans vouloir se priver de l’avantage certain que constitue la connaissance des techniques dans ce domaine, ce qui permettra toujours la compréhension de la solution historique, il importe de valider toute tentative d’explication par une preuve historique que c’était bien cette solution qui était en vigueur en son temps. Autrement dit, on ne peut s’arroger le droit d’imaginer une solution à la place de nos anciens, il faut leur laisser le soin de nous la suggérer. Ceci pose évidemment la question des sources. 3-Enfin, la logique n’est pas une, elle présente diverses facettes. Un même problème, nous le savons par expérience peut être résolu algébriquement ou par la géométrie ou par calcul
trigonométrique. Des méthodes logiques servent d’outils de résolution, or, ces outils sont datés, par exemple, en algèbre, le calcul différentiel, intégral ou logarithmique sont de l’époque moderne, ils ont même des inventeurs. Nous verrons qu’il peut en être de même pour les approches des problèmes nautiques. 0-6. Sources . Tout d’abord nous n’utiliserons pas de sources originales, n’en ayant aucune à disposition. Elles sont rares et réservées, soit à leurs inventeurs, soit à des équipes multidisciplinaires déjà en place. Nous nous contenterons donc de sources déjà dans le domaine public, mais que nous relirons avec un oeil de technicien, ce qui leur apportera, nous l’espérons, un éclairage nouveau. Les sources sont évidemment diverses quant à leur nature, selon que l’on a affaire aux témoignages archéologiques, aux figurations iconographiques ou aux documents d’époque. Ceux-ci sont, en fait, les plus nombreux et montreront des liens plus ou moins directs avec la matière étudiée. Aussi en ferons-nous, ci-après, un rapide inventaire, par catégorie, en essayant de dégager leur degré d’intérêt en fonction de ce lien plus ou moins lâche. A- Les chroniques. Cette littérature historique obéit à la loi du genre dans sa conception antique ou médiévale. L’Histoire pour les anciens et aussi pour les gens du Moyen Age est essentiellement événementielle, elle concerne principalement les faits et gestes des puissants et des rois. Dans leur grande généralité ce sont des guerriers et plus spécialement des guerriers à cheval. Les affaires maritimes les concernent peu. Quant à la méthode, dans le meilleur des cas, quand elle se détache de la simple hagiographie pour déboucher sur une véritable analyse, cette analyse critique se concentre alors sur la vérification des sources34 .
B- La littérature générale Les sources chrétiennes souffrent du fait que les chrétiens lettrés sont, en quelque sorte, des spécialistes et font partie d’une caste, les clercs, ce qui se comprend lorsqu’on aborde l’Histoire de l’Eglise. Il en résulte une littérature très « professionnelle », très axée sur les sujets concernant la religion, l’Eglise, la vie monastique, ou bien encore des sujets apologétiques : vie des saints etc. Même les textes juridiques profanes n’apparaissent qu’à partir du XIIIe siècle environ (dans le domaine maritime tout du moins). La littérature profane médiévale consiste surtout en récits héroïques décrivant l’exploit de chevaliers où on ne trouve aucune référence réaliste à des voyages en général et marins en particulier. Il semble que dans les deux autres civilisations du livre, la tradition veut que chaque fidèle peut et même doit avoir accès aux textes sacrés, ce qui évite cette spécialisation très sensible chez les chrétiens35. Il semble donc que, chez les Arabes qui, de surcroît, sont, à l’origine, surtout des commerçants, l’alphabétisation est beaucoup plus diffuse dans toutes les classes de la société. Leurs écrits traduisent, forcément, la variété de leurs centres d’intérêt. Peut être aussi, faut il prendre en compte le fait que les Arabes utilisent très tôt le papier, plus facile d’emploi et bien moins coûteux que le parchemin, toujours est il que les genres littéraires sont beaucoup plus variés et ont volontiers trait à des sujets profanes. Sont donc couchés sur le papier, des sujets concernant des intérêts personnels, à la limite des hobbies, touchant à la botanique, aux recettes de pharmacopée, à l’astronomie populaire et surtout à des récits de voyage qui constituent un véritable genre littéraire spécialisé. Ce dernier point est particulièrement intéressant en ce qui concerne notre étude.
Outre une alphabétisation plus diffuse, l’obligation du pèlerinage explique des voyages plus fréquents. Cependant il faut noter que les chrétiens étaient aussi des pèlerins fervents et nous pouvons même dire que ce sont les pèlerinages qui sont à l’origine de plusieurs courants maritimes. Compostelle est à l’origine d’un trafic maritime pour les pèlerins anglais. Amalfi a vécu du pèlerinage à Jérusalem, sans compter, bien évidemment, les croisades. Du coté chrétien on trouve aussi des « guides du pèlerin ». Mais on ne trouve là, rien de comparable aux récits d’Ibn Jubayr ou d’Ibn Battuta. Il a fallu attendre le XIIIe siècle en Europe et l’alphabétisation de la classe marchande, par obligation commerciale, pour trouver de la littérature profane, surtout commerciale, voire de rares journaux de marchands qui tranchent sur les archives religieuses et les hagiographies. Pourtant, les occidentaux ont commencé à écrire surtout au XIII e siècle, Giovanni Piano Carpini, en 1243 et Guillaume de Rubrouk, en 1248, Odoric de Porderone un peu plus tard laissèrent des relations détaillées de leurs voyages qui nous sont restées, mais il se trouve que ce sont surtout des voyageurs par terre qui profitèrent de la pax mongolica qui rendait cette route de terre plus sûre Et lorsqu’ils ont été par mer, ils sont très décevants. Marco Polo36, lorsqu’il visite Ormuz, sans doute le plus grand port du monde à son époque, ne voit presque rien qui puisse nous concerner. Il ne donne que de maigres détails sur l’arrimage à bord des marchandises, c’est normal, c’est un marchand et c’est la seule partie qui l’intéresse. Sa description de la jonque chinoise sur laquelle il est revenu de Chine est bien pauvre au niveau de la description technique comparée au même sujet traité par Ibn Battuta. Que dire alors des croisades auxquelles des chroniqueurs, par ailleurs connus, tel Joinville, ont participé. Si on prend l’exemple de celui-ci : c’est un chevalier, donc un terrien, et un féodal, il n’a d’yeux que pour son suzerain, c’est son unique sujet. Pourtant il est de toutes les traversées maritimes de son roi, même la dernière, puisqu’il se trouve chargé de rapatrier sa dépouille par mer jusqu’en France. Mais aucun détail maritime exploitable, juste une scénette au départ d’Aigues Mortes, qu’il note pour son pittoresque et pour égayer un peu son sujet plutôt austère. A ce niveau, il est intéressant de noter que les sources sont affectées d’un biais, car les témoins sont généralement fascinés par l’extraordinaire et le somptueux.
relativement modestes. L’exemple le plus frappant est toute la littérature relative à Venise qui ne cite que le commerce des épices ou de la soie, même si ce commerce, d’après tous les spécialistes de cette république, ne représentait en valeur globale qu’environ le tiers du chiffre d’affaire total de la république et en volume, une quantité presque négligeable, de l’ordre du millier de tonnes poids. Alors que la vraie spécialité de Venise, son cœur de métier, en jargon moderne, était le contrôle quasi-total du commerce du blé et du sel de toute l’Italie du Nord soit des volumes de l’ordre de la centaine milliers de tonnes et les deux tiers de la richesse totale de la ville malgré une valeur unitaire sans comparaison aucune37. Mais c’est le brillant qui a marqué la chronique. Nous reviendrons avec plus d’insistance sur ce problème particulier des sources dans un paragraphe ultérieur qui y sera consacré. C- Le récit de mer. Ceux-ci sont très rares, singulièrement en Occident, car les navigateurs semblent incultes. Les seuls à avoir quelque culture sont les négociants. Pour des raisons professionnelles ils doivent écrire beaucoup pour propager ou obtenir les informations nécessaires à la connaissance du marché et évidemment savoir compter. Ce commerce se fait parfois par mer et donne indirectement des indications sur les conditions dans lesquelles s’effectue ce trafic, citons en particulier les lettres commerciales telles que celles de la Genizah du Caire du Xe au XIe siècle.38Cependant, il reste les récits de témoins directs qui ont été intéressés par le voyage maritime auquel ils participaient en tant que passagers. Outre les témoignages précieux de Paul déjà cité pour le 1er siècle, nous avons également la lettre de Synésios au Ve siècle. Un peu plus tard nous avons, ici l’appoint précieux des sources arabes. La raison de faire appel aux arabes réside dans la nature de leur littérature. Il ne s’agit pas ici d’argument, à proprement parler, scientifique car il n’y a pas, à ce jour, de statistique classifiant les sources par genre. Mais nous venons de voir que les sources arabes sont beaucoup plus variées que les sources chrétiennes. Ces lettrés en ont profité pour écrire sur des sujets plus profanes et ont développé une littérature civile importante sur des sujets très divers y compris des ouvrages de pure fiction destinés au divertissement. Nous citerons les aventures de Sinbad le marin, ouvrage de pure fiction rédigé bien loin de la réalité maritime. Il n’est donc d’aucune utilité documentaire, cependant dans le même genre de littérature nous citerons un livre de récits très romancés mais d’un style très mélangé où transparaissent quelques rares mais authentiques récits de mer, écrits de toute évidence, par des professionnels de la mer. Ce sont les récits du capitaine Buzug39. Il n’en reste pas moins que le récit de voyage est devenu chez les musulmans un genre littéraire en soi, par exemple des récits de voyages maritimes de lettrés attentifs tels que Ibn Jubayr ou Ibn Battuta, présentent un intérêt documentaire très important, surtout le premier cité. D- Sources juridiques. Les sources juridiques abondent, le droit maritime nous laissé de très nombreux textes. Des l’antiquité il faut citer les codes de Théodose40 ou de Justinien41 qui traitent largement des affaires maritimes mais aussi ce volumineux code de procédure civile qu’est le Digeste42 . Dans l’empire byzantin le Digeste a été remis à jour dans les Basiliques. Et dans ces Basiliques le droit maritime a été individualisé sous la forme d’un opuscule détachable la loi rhodienne43. Ces textes ont été appliqués en Italie, sans doute à Amalfi et Bari44 , concurremment d’ailleurs aux textes du Digeste qui se sont transmis par ce biais aux juristes médiévaux qui les connaissent bien puisque ils les citent dans le droit canon et même dans les rôles d’Oléron. En outre, on trouve comme sources les divers statuts des villes maritimes qui traitent évidemment du droit maritime. En langue française les textes sont aussi nombreux les assises de Jérusalem préfigurent les règles d’Oléron et enfin qui donneront lieu à des copies sous le nom de règles de West Capelle ou de Visby qui réglementeront les navigateurs hanséates et enfin les catalans collationneront les Consulats de la mer45 . Cependant le droit maritime ne donne que peu d’indications sur la façon de naviguer. Le droit maritime n’est qu’une facilité de langage qui rassemble des réalités diverses. A coté du droit public, relatif au domaine maritime et aussi à la position de l’Etat en tant qu’utilisateur de la mer, on trouve le droit civil et, en particulier, le droit commercial. Celui-ci concerne plus généralement le commerce qui s’effectue par mer, c'est-à-dire qu’il s’occupe des commerçants concernés par les transports maritimes mais aussi de leurs rapports mutuels sans aucune référence au navire et à la navigation. C’est ainsi que, dans le Digeste, la part du prêt à la grosse qui concerne prêteurs et emprunteurs dans le cadre maritime occupe une part très importante, le navire et l’aventure maritime dans ce domaine importent peu, ils ne sont que le prétexte de cette forme de prêt.
Il n’y a que lorsque le droit maritime s’occupe des relations entre transporteur et son client qu’on aperçoit alors la notion de navire et de responsabilité de l’armateur. Cette notion de responsabilité du transporteur fait que les textes sont obligés de rentrer plus en détail dans l’évènement de mer et donne de ce fait un éclairage plus technique sur les problèmes de navigation. D’une façon générale, la loi, en ce qui concerne les contrats, ne trouve sa source que dans la volonté des parties, cette volonté est donc difficile à formaliser en raison de la profusion de ses manifestations. Mais la loi réglemente l’exercice général de cette pratique et surtout en encadre les modalités d’application; les contentieux sont réglés devant une cour et le témoignage écrit a développé dès le droit romain une force probante supérieure. Dans ce domaine donc, la prudence exige des contractants de mettre par écrit leurs intentions devant un « témoin professionnel » agréé par les tribunaux : le notaire. Recueils de jurisprudence et archives notariales font donc que les techniques commerciales sont relativement bien connues. Bien entendu, toute cette activité légale s’exerçant dans le cadre défini par les contraintes techniques de l’activité, par effet induit on arrive à en déduire des informations sur les techniques maritimes.
Mais, là encore, dans cette occurrence le juriste ne se place qu’au niveau des conséquences. Explicitons par un ou deux exemples. Le sujet le plus débattu sans doute est celui de l’avarie commune. Résumons le problème : lorsqu’un sacrifice d’une marchandise particulier est fait dans l’intérêt commun, la loi considère que la perte doit être supportée par les parties qui ont été sauvées par ce sacrifice; le code ne dit par pourquoi et comment techniquement un sacrifice particulier peut sauver ou empêcher la perte de la communauté; elle laisse ce soin au navigateur, elle se contente d’édicter des règles et des garde-fous ; par exemple, elle décidera comment sera évaluée la perte : au prix où le bien a été acheté, prix au départ, ou bien, à celui auquel il aurait été vendu, prix à l’arrivée. De même, elle édictera que la volonté de sacrifier doit être rendue évidente, et par quels moyens cette preuve sera reconnue, par exemple, par une réunion de tous les intérêts concernés au moment de la décision du jet. Mais rien ne dit pourquoi et en quoi le jet va sauver le navire, c'est-à-dire que le coté technique maritime est totalement éludé. Par exemple le Digeste, pour faire comprendre la différence fondamentale entre avarie particulière et avarie commune, cite l’exemple du mât coupé volontairement, et celui du mât cassé par la tempête. Ce sont les exemples emblématiques de l’avarie commune et de l’avarie particulière, mais il reste muet sur l’importante question de savoir en quoi et pourquoi couper le mat peut sauver le navire. Dans le même ordre d’idées, ni le Digeste, ni les basiliques, ni les statuti ou encore les fatwa ne nous indiquent pourquoi il faut faire le jet46 . Car le droit musulman traite des mêmes problèmes, mais avec une approche différente. Les plus précises dans ce domaine sont les fatwa sur l’avarie commune47. Une fatwa est une décision d’un juge et obéit à un plan bien défini. Apres un bref exposé des faits la décision est annoncée en conclusion après l’exposé du raisonnement qui amène le cadi à déduire cette décision à partir des textes de la Loi, ce qui constitue le corps de la fatwa. Tous les exposés relatifs au jet commencent peu ou prou par ces mots : le navire subissant le mauvais temps doit après un jour ou deux procéder au jet. Il y a donc un lien direct entre le mauvais temps et le jet, mais en quoi le fait de jeter les marchandises à la mer sauve-t-il le navire ? La solution ne nous est donnée ni par les dizaines de fatwas relatives au jet collationnées par al- Wansarfisi, ni par le chapitre XXI de l’ouvrage de Ben Iyad qui traite spécialement de l’avarie commune, mais bien par un récit de mer, celui du capitaine Buzurg. En fait, on comprend dans ce texte que, le navire ancien étant par construction très mal structuré, le mauvais temps tord et maltraite la coque qui se met à bailler de toutes ses coutures, et le bateau fait eau d’un façon anormale et considérable.
Il suffirait donc de pomper plus vite que l’eau ne rentre ; Hélas ce n’est pas possible très longtemps. En effet, apparaît bien vite le phénomène des impompables. La marchandise imprégnée d’eau s’imbibe et s’alourdit, malgré les efforts de l’équipage à la pompe, le navire s’enfonce et est battu par les déferlantes c’est le début de la fin. Il faut donc jeter par-dessus bord les marchandises imbibées. C’est pour ne pas l’avoir fait à temps que le capitaine, cité par Burzug, a été incapable d’effectuer le jet. Les balles de tissus trop mouillées étaient devenues trop lourdes et son équipage ne peut plus les manipuler. Il perd alors son navire pour avoir voulu trop sauver sa cargaison. C’est dans un seul récit de mer que l’on peut trouver une explication lumineuse de l’efficacité d’un sacrifice nécessaire, pourtant très abondamment cité, sans autre explication technique, dans bien des textes juridiques.
E- La littérature professionnelle. Si les marins écrivent peu ou pas du tout, il reste qu’ils semblent savoir lire, car quelques documents sont édités pour les aider dans l’exercice de leur métier. Il s’agit des périples. Ce sont des descriptions détaillées des côtes, souvent avec des indications chiffrées quant aux distances, mais peu d’indications de directions, ils préfigurent en quelque sorte nos modernes instructions nautiques, toujours nécessaires pour une navigation côtière, ne serait ce que pour suivre le défilement des amers ou points remarquables. Ces ouvrages sont relativement nombreux et les premiers datent de l’antiquité, ils ont perduré pendant le Moyen Age. Nous citerons le Périple de la mer Erytrée, qui date du 1er siècle de notre ère, sans nom d’auteur, les ouvrages d’Arrien du IIe siècle qui retranscrit le périple de Néarque, l’amiral d’Alexandre qui rapatria sa flotte et son armée des bouches de l’Indus à Suse sur un affluent du Chatt-elArab, en Iran actuel. Pour son compte propre, il écrit un périple concernant la Mer Noire, partie par expérience et partie par compilation, on lui attribue également un second périple de la Mer Rouge. Enfin citons, surtout, l’ouvrage d’Edrisi48 qui comprend un périple complet du Maroc à la Palestine et que nous utiliserons plus tard. Ce ne sont pas les seuls ouvrages d’assistance, on peut considérer que certains ouvrages sont de véritables routiers c'est-à-dire des recueils de routes du large destinées au marin hauturier qui coupe à travers golfes et bras de mer. Parmi ceux-ci on peut classer un ouvrage arabe anonyme du VIIIe ou IXe siècle, connu sous le nom du Voyage du marchand Suleyman49, décrivant les routes et atterrissages du Golfe Persique jusqu’en Chine et enfin les compasso médiévaux qui sont les ouvrages de base indiquant routes à suivre et distances à parcourir entre ports, dont sont tirés les portulans. Nous citerons, uniquement pour information la traduction du « Livre de la mer » hanséatique, le Seebuch, parce qu’il est hors période, datant de la moitié du XVIe siècle et qu’il concerne une navigation très spécifique, celle de la Baltique, une mer très typée, et utilisant principalement la sonde ce qui est un cas vraiment particulier et dont nous parlerons peu. A ce propos, les documents les plus révélateurs de la période de l’estime sont évidemment les portulans médiévaux, (l’ancêtre de la carte marine), dont plusieurs se sont conservés depuis la fin du XIIIe ou le tout début du XIVe siècle, pour les plus anciens. Les arabes contemporains de cette époque utilisaient aussi des cartes marines dont aucune ne nous est parvenue, sauf, sans doute, trois exemplaires d’homologues terrestres qui nous donnent une idée de leur principe de construction et de leur utilisation. Les écoles de commerce, dès le XIIIe siècle en Italie, et les écoles de droit civil à l’usage des notaires ont précédé dans le temps les écoles d’hydrographie qui ne datent que du XVIIe siècle. Les premiers écrits et réflexions professionnelles, en France, ne datent que du temps de Colbert où un effort de formation a été rendu nécessaire par la constitution de toutes pièces d’une marine d’Etat.
En effet dans cette création ex nihilo, il devait aussi créer une classe de marins. En ce qui concerne les équipages, il créa l’Inscription Maritime et puisa ainsi dans le vivier des marins du commerce déjà formés. Regardant les états major, il fut obligé, par statut, de recourir à la noblesse de province qui était constituée en totalité de terriens à qui il fallut tout apprendre d’un monde auquel ils étaient complètement étrangers. De là, date l’organisation de conférences techniques tant pour la navigation que pour la manœuvre ou le combat. On a conservé certains textes de ces conférences, une source idéale en ce qui nous concerne, mais trop tardive. Tout était inventé ou presque, ils n’exposent que des techniques évoluées et on ne peut saisir la genèse du progrès. Cependant, dans ce domaine si particulier de la littérature professionnelle, nous avons deux ouvrages, tardifs certes mais néanmoins écrits à la toute fin de la période, le journal de bord de Christophe Colomb50 et les ouvrages d’Ibn Madjid51, son aîné d’une génération tout au plus, les textes d’Ibn Madjid, difficiles d’accès sont éclairés par ceux de Suleyman al- Mahri qui a traité des mêmes questions quelques années plus tard. Cependant les écrits de ce dernier sont déjà « pollués » par la technique occidentale qui s’est développée très vite dans l’Océan Indien, dès l’arrivée des portugais à l’extrême fin de la période. Parmi nos sources nous citons assez peu Marco Polo, et un peu plus, il est vrai, Ibn Battuta, mais pour des propos, somme toute, hors sujet, tels que les voyages en caravane ou les jonques chinoises. Bien que ces grands voyageurs soient, par ailleurs, souvent cités, il n’en reste pas moins que Marco Polo est un voyageur par terre et ses descriptions maritimes sont de moindre intérêt,52 en comparaison de ses observations de terrien. Quant à Ibn Battuta53, il haït les bateaux, surtout arabes. Par contraste, son admiration pour la jonque chinoise est diamétralement enthousiaste.54
Les sources seront détaillées à chaque chapitre dans lequel elles sont exploitées. Cependant, nous citerons à travers tout l’exposé et à peu près à chaque chapitre deux auteurs de base Christophe Colomb et ibn Madjid Quoique tardifs, tous les deux ont l’avantage d’être des théoriciens de la navigation et de vouloir écrire une œuvre didactique. En tant que tels, ils donnent le point global de la question à l’instant où ils écrivent, soit le XVe siècle, et en cela ils sont un résumé de toute l’histoire de la navigation des origines à leurs jours. 0-7. Justification du plan La navigation actuelle vient de vivre une révolution avec l’introduction de la navigation assistée par satellites artificiels. Cependant c’est une révolution qui n’est pas complète, en ce sens que le G.P.S est une solution privée, elle appartient au gouvernement des Etats Unis et peut être annulée à tout moment, pour des raisons stratégiques ne dépendant que de la volonté et des intérêts de cet Etat, qui lui seraient dictées éventuellement par telle ou telle circonstance. En attendant un système européen ou, mieux encore, mondial, les marins sont obligés d’apprendre toujours les vieilles méthodes « juste au cas où… » Pour l’essentiel, la navigation astronomique reste encore d’actualité. Les derniers perfectionnements dans cette méthode datent de 1870 avec la droite de hauteur de Marq Saint-Hilaire. Le principe de la navigation astronomique moderne est un système à deux étages qui procède par approximations successives. Sur une position de départ donnée par l’estime, on précise cette position par un point obtenu à partir d’observations astronomiques. Les observations astronomiques sont traitées par le calcul mais reportées sur la carte pour obtenir une solution graphique : le point. Le marin moderne superpose donc deux méthodes qui ont été trouvées et mises au point successivement dans l’histoire des techniques de la navigation. L’estime est une méthode mise au point à la fin du XIIIe siècle, mise au point pour exploiter au mieux les possibilités nouvelles qu’offrait, en son temps, la découverte de la boussole. Cette estime a bientôt, au XVe siècle, en raison de la dilatation de l’espace maritime, montré ses limites et a dû être non pas remplacée mais simplement supplémentée par la navigation astronomique qui a débuté avec le calcul des distances Nord-Sud par l’observation de la hauteur de la polaire, puis très vite, par le calcul de la latitude par la méridienne de soleil au XVe siècle. Cette dernière méridienne est toujours utilisée de nos jours55. C’est après ce moment précis que s’achève notre étude. Puis la navigation astronomique n’a cessé de s’affiner au XVIIe au XVIIIe et au XIXe siècle avec les inventions successives du sextant et surtout du chronomètre et de méthodes établies pour exploiter les possibilités de ce dernier appareil pour calculer les longitudes. Il faut donc noter qu’avec la méthode des approximations successives, la façon de procéder moderne n’est donc qu’une superposition de méthodes modernes sur des méthodes plus anciennes et présente donc un raccourci vivant de l’Histoire des techniques de navigation. C’est pourquoi il nous semble obligatoire de choisir d’exposer les faits par ordre chronologique. Mais auparavant, il faudra fixer la situation au départ de la période, c'est-àdire exposer quel était l’état des méthodes de navigation dans l’antiquité et au haut Moyen Age, the state of art. Il faudra donc parler de la navigation côtière car tout a commencé par là, c’est en s’éloignant progressivement des côtes et en coupant à travers les golfes de plus en plus hardiment qu‘on en est arrivé à la navigation hauturière. Ce sera l’objet de la première partie.
Ensuite, pour respecter la chronologie, dans une deuxième partie, il faudra examiner la révolution nautique qui s’est passée à la fin du XIIIe siècle. L’apparition de la boussole a servi de base à une nouvelle technologie de navigation : l’estime, méthode de navigation graphique inséparable de son support le portulan. Mais l’estime a sa limite qui réside dans une incertitude dans la position proportionnelle à la distance estimée. Cette incertitude n’était pas trop gênante dans des navigations restreintes, mais avec la volonté de sortir du cadre géographique connu, il a bien fallu mettre au point des méthodes plus affûtées en se servant des avancées en astronomie. C’est par l’observation du ciel local que les marins, qui sont obligés de ne compter que sur eux-mêmes, lorsqu’ils sont au large, vont pouvoir préciser leur position dégrossie grâce à l’estime. Ce problème s’est posé deux siècles après la mise au point de cette estime. Il avait déjà été résolu dans une certaine mesure par les arabes confrontés aux vastes espaces marins avant les occidentaux. La comparaison s’avérera intéressante. Nous reviendrons sur le développement parallèle mais indépendant des bases théoriques, en cosmographie et astronomie et du passage du savoir arabe dans ces matières vers l’occident. Ce sera l’objet de la troisième partie. D’où le plan : Première partie, la navigation à vue Deuxième partie, la navigation au compas, invention de l’estime. Troisième partie, les débuts de la navigation astronomique.
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