الأربعاء، 13 سبتمبر 2023

Download PDF | (Islamic History and Civilization 165) David Bramoullé - Les Fatimides et la mer (909-1171)-Brill (2019).

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777 Pages


Introduction


Si notre séjour ici se prolonge, nous ferons alors venir à nous la mer par un canal creusé grâce à la force et la puissance d’Allah, afin que les navires débarquent et partent en expéditions depuis notre capitale1. Al-Nuʿmān, Kitāb al-majālis wa-l-musayyarāt (c. 950-960) … Lorsque les chargements étaient achevés et que les navires étaient prêts au départ, le calife et le vizir chevauchaient jusqu’à al-Maqs, au bord du Nil. Dans la mosquée, sur la berge du fleuve, se trouvait un pavillon dans lequel s’installait le calife pour célébrer l’appareillage des flottes et les accueillir à leur retour. Lors des départs, une fois le calife et le vizir assis, les capitaines arrivaient de Fustât sur les navires afin de procéder aux manœuvres sous les yeux du calife.









Les embarcations étaient équipées de leurs armes et de leurs protections. Les mangonneaux étaient actionnés, les rameurs accéléraient et ralentissaient les navires comme lors d’un combat contre des ennemis en pleine mer. Après la démonstration, le calife invitait le commandant (muqaddam) et l’amiral (raʾīs) [de la flotte] à le rejoindre2. Il invoquait alors pour tous la sécurité et la victoire3. Ibn al-Ṭuwayr, Nuzhat al-muqlatayn (c. 1160-1170).









 


Rédigés à près de deux siècles d’intervalle dans des contextes géographiques très différents, ces extraits témoignent du lien particulier et peut-être même unique dans l’histoire du monde musulman médiéval que les califes fatimides  tissèrent avec leur marine et avec la mer en général4. Dans le premier passage, écrit à un moment où les Fatimides se trouvaient encore en Ifrīqiyya et souhaitaient se lancer à l’assaut de l’Égypte, le cadi ismaélien al-Nuʿmān témoignait de la volonté du calife al-Muʿizz li-Dīn Allāh (r. 953-975) de creuser un canal sur près de soixante kilomètres jusqu’à sa capitale de Ṣabra al-Manṣūriyya près de Kairouan, afin de célébrer ses flottes. 













Dans le deuxième extrait, il ne s’agit plus d’un projet, mais d’une cérémonie réelle, celle imaginée par al-Muʿizz, concrétisée par ses successeurs et rendue possible, une fois l’Égypte conquise, par la présence du Nil qui reliait désormais la nouvelle capitale fatimide d’al-Qāhira (Le Caire) à la Méditerranée. Le calife y est devenu un grand maître et un garant du succès des flottes fatimides. Telle est l’image que dans la seconde moitié du xiie siècle, Ibn al-Ṭuwayr présentait à ses lecteurs alors que la lutte contre les marines européennes battait son plein. L’auteur, membre des administrations fatimide puis ayyoubide, observateur privilégié des manifestations de la puissance califale, témoignait alors de la mise en scène savamment organisée pour célébrer les départs et les retours des flottes de guerre. Cette cérémonie, érigée en véritable spectacle populaire, constituait en fait l’ultime étape d’un processus de construction idéologique amorcé sous le règne d’al-Muʿizz.














 Ce dernier avait sans doute mieux compris que ses prédécesseurs le parti que la dynastie pourrait tirer de ses victoires navales contre les flottes ennemies et surtout chrétiennes. Par un discours et des actes appropriés, il s’agissait de placer la personne même de l’imam fatimide et la mer au cœur d’une vaste entreprise de communication qui visait à justifier aux yeux de tous les musulmans les desseins universalistes des califes ismaéliens. Témoignant du succès posthume de cette entreprise, l’Égyptien Maqrīzī (1364-1442) et, dans une moindre mesure, Ibn Khaldūn (1332-1406), reprirent le message élaboré pour servir l’idéologie des califes fatimides sans toujours avoir le sens critique nécessaire5. Ils contribuèrent, avec d’autres, à renforcer ce qu’il convient d’appeler la « légende navale fatimide ». Les considérations qui furent peu à peu développées autour de la marine fatimide et du lien étroit qui unissait cette dynastie à la mer s’appuyaient sans aucun doute possible sur de véritables succès maritimes. Il n’en demeure pas moins que ce lien, perçu comme presque naturel par plusieurs historiens tardifs victimes de la propagande fatimide, paraît au contraire forgé de toutes pièces. Il s’agira donc ici de comprendre le rôle de la mer pour la dynastie fatimide et notamment d’ exhumer la part de construction idéologique, dans les rapports que les Fatimides tissèrent avec la mer entre le règne du premier calife ismaélien ʿAbd Allāh al-Mahdī (r. 910-934) et la disparition de la dynastie en 1171.













 Rien ne prédisposait les Fatimides, dynastie issue d’un mouvement politico-religieux né sur les marges occidentales du désert syrien, à connaître un destin maritime. Malgré les vicissitudes de leur règne, marqué à la fois par la conquête de territoires allant de l’Afrique du Nord et de la Sicile, à la Syrie-Palestine en passant par l’Égypte et une partie de la péninsule Arabique, et par le développement des croisades qui contribuèrent à affaiblir la dynastie, les Fatimides réussirent à faire de leur territoire, et notamment de l’Égypte, une plaque tournante majeure du commerce entre la mer Méditerranée et l’océan Indien, entre l’Asie et l’Europe. Si le trafic maritime n’avait jamais véritablement cessé en Méditerranée6, l’installation des Fatimides au Maghreb correspondit à une accélération des échanges et de la navigation commerciale. Par l’organisation socio-économique qu’ils contribuèrent à mettre en place dans leurs territoires ainsi que par le développement d’une administration et d’une cour califale fortes consommatrices en produits de luxe, les Fatimides participèrent pleinement à l’essor commercial qui se produisit en Méditerranée, mais aussi en Europe. Le transfert du califat en Égypte à partir de 973 renforça le processus amorcé au Maghreb et en Sicile. Au contact de la mer Rouge et, au-delà, de l’océan Indien par lequel arrivaient sur les marchés égyptiens les marchandises tant recherchées par les marchands européens, les Fatimides surent peut-être mieux que leurs prédécesseurs utiliser la complémentarité des espaces maritimes auxquels leurs nouveaux territoires donnaient accès. En renforçant la demande en articles de luxe originaires d’Orient, la « révolution commerciale » alors à l’œuvre en Europe occidentale leur était favorable7.











 Malgré les difficultés rencontrées par la dynastie à partir de la seconde moitié du xie siècle et la montée en puissance des Européens, qui prirent de plus en plus à leur compte le commerce maritime, l’Égypte fatimide demeura un espace privilégié des échanges maritimes. Ainsi, tant du point de vue de la guerre que de l’idéologie ou du commerce, la mer joua pour la dynastie ismaélienne un rôle crucial qui n’a pas été évalué à sa juste valeur et semble même totalement négligé dans les monographies les plus récentes concernant les Fatimides dans lesquelles aucune ligne ou presque n’est consacrée à ces aspects8. Grâce au renouvellement des problématiques et à l’utilisation de sources textuelles et archéologiques inédites, les trente dernières années ont connu un renouveau de l’histoire maritime au sens large, et notamment des recherches portant sur les mers bordant les territoires fatimides. Loin de confirmer l’idée d’une incompatibilité entre l’Islam et la mer, les études consacrées à la place de la mer chez les musulmans ont aussi pris un nouveau tournant grâce aux recherches d’historiens spécialistes de l’Occident musulman tels Jorge Lirola Delgado et Christophe Picard9.














 La marine et la navigation des musulmans d’al-Andalus et du Maghreb occidental ont en effet été étudiées d’une manière plus complète. Les chercheurs ont notamment pris en compte tant les avancées de la recherche historique et archéologique dans le domaine des techniques que la publication de nouvelles sources ainsi que les approches philologiques modernes qui permettent d’aborder des documents qui furent le plus souvent rédigés à l’initiative des pouvoirs centraux. Toutefois, encore peu de choses ont été écrites sur le rôle des Fatimides dans le commerce maritime tant en Méditerranée qu’en mer Rouge et rien n’a encore été réalisé sur l’idéologie navale élaborée par le califat. Même les synthèses les plus récentes d’histoire de la Méditerranée n’accordent qu’une place très limitée à la dynastie fatimide et à son rôle dans le commerce maritime10. Dans tous les cas, la plupart des chercheurs qui traitent de l’économie de la Méditerranée médiévale ou de la mer Rouge avant le xiiie siècle se réfèrent fréquemment aux territoires fatimides. Pourtant, aucun travail mettant en lumière le rôle de la dynastie califale ismaélienne dans le commerce et le poids que joua la mer pour la dynastie n’a encore vu le jour. Ce vide historiographique pose alors la question des sources disponibles pour mener une telle recherche. Il pourrait presque laisser croire qu’en dehors de quelques documents de longue date exploités la documentation est insuffisante pour traiter d’un tel sujet. Au contraire, il n’en est rien et même les textes connus peuvent révéler de nouvelles informations.















Depuis quelques années, de nouveaux documents ont été édités grâce aux efforts de plusieurs chercheurs et institutions qui ont donc contribué à un enrichissement substantiel des sources disponibles sur les Fatimides11. Toutefois, la question du traitement d’un thème comme celui de la mer dans la documentation évoquant les Fatimides est loin d’être simple. Si ce n’est qu’à partir des Ottomans qu’une véritable littérature de la mer apparaît, l’essor d’une documentation en arabe sur la mer se manifeste au xe siècle. La mer devient en effet plus qu’avant un espace auquel les textes se réfèrent non pas tant pour l’inspiration littéraire, mais comme lieu d’une activité humaine susceptible d’être réglementée par des pouvoirs musulmans. Ainsi, un nombre conséquent de documents arabes qui évoquent des sujets maritimes datent de la période fatimide et concernent des territoires contrôlés par cette dynastie12. Les renseignements concernant la mer que l’on peut trouver dans la documentation dépassent de loin le seul thème de la guerre navale. Le principal problème réside davantage dans la dispersion des informations relatives à la mer et leur caractère parfois anecdotique que dans une absence de renseignements.
















 Parmi les sources essentielles, les textes des géographes que l’on pourrait qualifier de classiques comme ceux dʾIbn Ḥawqal (m. c. fin xe s.), d’al-Muqaddasī (m. 988), et plus tard l’ouvrage d’al-Idrīsī sont évidemment d’un apport essentiel tout comme le récit de voyage de Nāṣir-ī Khusraw (m. ap. 1072)13. Dans cette littérature géographique, un texte se distingue toutefois. Il s’agit du Kitāb gharāʾib al-funūn wa mulaḥ al-ʿuyūn ou Livre des curiosités des arts et des merveilles pour les yeux dont l’auteur demeure à ce jour anonyme14. Le texte est connu par une copie du xiie ou xiiie siècle effectuée à partir d’un manuscrit qui fut apparemment rédigé par un fidèle sujet des califes du Caire. L’original pourrait dater des années 1020-1030 comme semblent l’indiquer plusieurs indices15. L’auteur ne consacre pas moins d’une quinzaine de chapitres de son ouvrage à évoquer des thèmes maritimes ou aquatiques. Il établit plusieurs cartes et descriptions d’espaces maritimes comme la Méditerranée, l’océan Indien ou la mer Égée. En outre, l’auteur semble avoir réalisé des cartes ou plans de plusieurs sites maritimes majeurs de ce que l’on pourrait appeler la Méditerranée fatimide. Il insiste notamment sur trois espaces importants du commerce maritime médiéval, trois espaces qui, au moment de la rédaction supposée de l’original, se trouvaient encore dans la sphère d’influence fatimide.
















 Il s’agit de Tinnîs en Égypte, à l’est du delta du Nil, de Mahdia, la capitale historique du califat fatimide et de la Sicile. L’auteur fournit nombre d’indications souvent inédites sur la qualité des mouillages en fonction des saisons et des vents dominants, préfigurant les routiers des siècles suivants. La composition générale de l’ouvrage, et notamment l’organisation des données géographiques autour des descriptions des mers et des océans, ainsi que l’insistance sur les données maritimes est en réalité assez différente de la structure des ouvrages de géographie plus classiques composés vers la même période et qui s’organisent, en général, autour de la division de la terre en climats (iqlīm)16. La carte même de la Méditerranée, bien que très schématique, semble la première survivance d’une carte dessinée depuis la perspective du marin17. Ce document témoigne à lui seul de l’intérêt que portaient les Fatimides à la navigation et aux choses de la mer en général. Au-delà de ce document, les informations données par les récits de voyage et les géographies fournissent une image certes très imparfaite, mais néanmoins fort utile de l’évolution économique des territoires fatimides sur presque trois siècles18. De nombreuses informations concernant la mer et les Fatimides apparaissent aussi dans les chroniques historiques ou encore les biographies composées à partir de la période fatimide. Plusieurs documents permettent d’avoir une vision de l’intérieur, car ils furent rédigés par des administrateurs fatimides ou des personnages majeurs de l’appareil d’État fatimide. Parmi ces textes, la biographie de Jawdhar (m. 973), chambellan des premiers califes et notamment d’al-Muʿizz, occupe une place très importante en raison de l’utilisation systématique que fit l’auteur de ce texte – le secrétaire particulier de Jawdhar – de la correspondance échangée entre les califes et son maître pour composer son ouvrage19.















 Durant la seconde moitié du xe siècle, les ouvrages du cadi al-Nuʿmān jouèrent un rôle important. L’auteur rentra au service d’al-Mahdī et exerça la charge de cadi en chef (qāḍī al-quḍāt) sous les califes al-Manṣūr (r. 946-953) et al-Muʿizz (r. 953-975). Il devint le théoricien principal de l’ismaélisme, chargé de vulgariser le droit (fiqh) par un enseignement public (durūs al-ḥikma). Il rédigea plusieurs ouvrages de droit et de théologie ainsi que le Kitāb iftitāḥ al-daʿwa et le Kitāb al-majālis wa-l-musāyyarāt dont la vocation était davantage historique et qui visaient un plus large public20. Si ces textes constituent des ouvrages de propagande et doivent être utilisés avec précaution, c’est là aussi que réside sans doute leur plus grand intérêt. Ils reflètent les points sur lesquels al-Muʿizz souhaitait communiquer21.















 Ainsi, malgré le caractère quelquefois anecdotique et décousu des renseignements fournis, plusieurs passages témoignent que la mer jouait une place centrale dans le projet politique du calife. Au-delà de ces quelques documents, les textes contemporains de la période maghrébine de la dynastie sont toutefois relativement rares. La période égyptienne constitue une nouvelle étape marquée par la rédaction de plusieurs ouvrages réalisés par des historiens-administrateurs de grands bureaux de l’État ou par des proches des cercles du pouvoir fatimide même si textes antérieurs au xiie siècle sont peu nombreux. Parmi ceux-ci, la chronique de Musabbiḥī (m. 1029), même incomplète, s’avère donc très importante puisqu’elle traite surtout des règnes des premiers califes d’Égypte à propos desquels les informations directes manquent cruellement. Elle apporte de nombreux renseignements en lien avec la vie maritime, notamment les arsenaux22. Sensiblement à la même époque, l’ouvrage du chrétien Yaḥyā b. Saʿīd al-Anṭākī (980-1065), doit aussi être lu avec attention. Après trente ans passés dans l’Égypte des califes al-ʿAzīz (r. 975-996) et al-Ḥākim (r. 996-1021), l’auteur, émigré à Antioche vers 1013-1014, laisse un récit qui se veut une continuation de la chronique de Saʿīd b. al-Baṭrīq23. S’appuyant sur ses propres observations ainsi que sur des sources rédigées en arabe et en grec, Yaḥyā al-Anṭākī fournit des informations uniques qui concernent l’organisation des arsenaux fatimides et l’administration des villes littorales24. Un autre chrétien, Sāwīrus b. al-Muqaffaʿ (m. v. fin ixe- début xe), évêque de la ville égyptienne d’Ashmunayn, est à l’origine d’une histoire des patriarches de l’Église copte qui offre un autre angle pour appréhender les rapports des autorités fatimides avec certaines de leurs cités côtières ou avec le patriarcat copte.















 Cet ouvrage, repris et continué par d’autres auteurs témoigne des transformations que Badr imposa à la dynastie25. Ces changements sont confirmés par plusieurs sources de la même période comme l’autobiographie d’al-Muʾayyad fī-l-Dīn al-Shirāzī (m. 1077), sans doute le dernier grand propagandiste en chef (dāʿī al-duʿāt) de la dynastie réellement soucieux de la pureté de la doctrine ismaélienne. Pour le xiie siècle fatimide, les textes sont plus nombreux, mais ne vont pas sans poser de difficultés. Ibn al-Maʾmūn (m. 1192), fils d’al-Maʾmūn al-Baṭāʾiḥī, successeur d’al-Afḍal (m. 1121) au poste de vizir, est un auteur essentiel pour la connaissance des événements survenus durant la période qui s’étend de 1107 à 112526. Toutefois, à l’instar d’autres textes de la même période, son œuvre a largement disparu. Une partie seulement de sa chronique d’Égypte a pu être reconstituée grâce aux emprunts qui se trouvent chez plusieurs auteurs postérieurs27. Parmi les chroniques majeures de ce siècle, celle de l’historien damascène Ibn al-Qalānisī (m. 1160) permet de connaître certaines des opérations navales fatimides vues avec un regard sans doute moins soumis aux considérations politiques égyptiennes.
























 L’auteur fournit des renseignements majeurs quant aux rapports des Fatimides avec les villes portuaires de Palestine et de Syrie à un moment où celles-ci tombaient aux mains des Francs. À la même période, les textes du Syrien Usāma b. Munqidh (1095-1188) et du Yéménite ʿUmāra al-Ḥakamī (1121-1174) complètent des sources trop influencées par les intérêts purement égyptiens ou ismaéliens. Les deux hommes vécurent en Égypte et nouèrent des liens étroits avec les plus hautes personnalités politiques égyptiennes du xiie siècle. Le premier s’y installa vers 1144, après plusieurs années passées à Damas. Il permet de voir de l’intérieur le système défensif d’Ascalon, dernière place forte littorale fatimide sur la côte palestinienne. ʿUmāra al-Ḥakamī arriva quant à lui en Égypte au lendemain du départ de Usāma vers la Syrie. Il fut amené à effectuer plusieurs missions diplomatiques pour le compte des Najahides de Zabid, des Zuray‘ides d’Aden et pour celui des Fatimides. Ses ouvrages apportent des éclairages majeurs sur la politique fatimide en direction des territoires qui bordaient la mer Rouge. Après ces deux auteurs, viennent essentiellement des documents écrits par des compilateurs postérieurs qui ont surtout pour intérêt d’utiliser les sources contemporaines des Fatimides.















 Certains ont, pour le sujet qui nous occupe, plus d’intérêt que d’autres. Parmi ceux-ci, le récit de l’historien d’Alep, Ibn al-ʿAdīm (1192-1262) fournit des informations parfois inédites sur la politique fatimide dans le nord de la Syrie et donne quelques renseignements sur les administrateurs des cités littorales syro-palestiniennes. Dans un autre registre, Ibn Muyassar (m. 1278) a rédigé une histoire de l’Égypte qui se voulait une continuation de la chronique de Musabbiḥī. Elle contient nombre d’informations chronologiques et administratives relatives à la mer et à la marine. Il existe bien d’autres chroniques rédigées entre le xiiie et le xve siècle, notamment celles dʾAbū Shāma (m. 1268) ou d’al-Taghrī Birdī (m. 1470) en passant par celle dʾIbn al-Athīr (m. 1233), de Nuwayrī (m. 1333) ou dʾIbn al-Dawādārī (m. 1313). Toutes peuvent être consultées avec intérêt. À défaut de toujours transmettre des informations d’une grande densité, elles livrent quelques éléments de réflexion quant à la vision que des historiens sunnites développèrent à propos de la dynastie ismaélienne. Les compilateurs furent souvent de fervents défenseurs du sunnisme, certains textes sont issus du calame d’historiens shiʿites parmi lesquels Ibn Abī Ṭayyiʾ (m. c. 1228-1233) et surtout le dāʿī ṭayyibite Idrīs ʿImād al-Dīn (m. 1468)28. Ce dernier consacra trois volumes de sa chronique aux imams ismaéliens29. L’auteur utilisa des documents qui n’ont pas toujours résisté au temps et il fournit de nombreuses informations quant à la politique fatimide vers le Yémen.


















 Enfin, il faut dire quelques mots dʾIbn Khaldūn (m. 1406) dont la chronique (Kitāb al-ʿibār) n’apporte pas d’éléments supplémentaires. À l’inverse, ses Prolégomènes ou Muqaddima, vaste réflexion théorique qu’il composa en guise d’introduction à son histoire universelle contiennent quelques chapitres fort pénétrants sur la puissance navale fatimide réelle ou supposée, en tout cas telle que l’imaginait l’auteur lorsqu’il rédigea son texte à un moment où les chrétiens contrôlaient largement la navigation en Méditerranée. La Muqaddima révèle l’influence à long terme de la réputation  des Fatimides en matière de guerre navale et témoigne de manière indirecte du succès de la communication que la dynastie ismaélienne produisit. Parmi tous les compilateurs qui permettent d’accéder à l’histoire de la dynastie fatimide, l’Égyptien Maqrīzī (1364-1442) occupe une place particulière. Il a notamment rédigé une histoire des califes fatimides ainsi que les Khiṭaṭ, une histoire topographique d’al-Fustāt (Fustât) et de l’Égypte en général dans laquelle nombre d’informations relatives à la mer et aux Fatimides apparaissent. Si Maqrīzī sauve de l’oubli plusieurs textes contemporains des califes du Caire, la consultation de son œuvre doit être réalisée avec précaution comme l’ont démontré plusieurs chercheurs30. Fréderic Bauden a clairement mis en évidence la technique de travail de l’auteur égyptien31. L’utilisation qu’il fit de ses sources est problématique. Son objectif consistait sans aucun doute à présenter une version conforme à l’idée qu’il se faisait des Fatimides. Il fut ainsi amené à mettre en relation directe des passages tirés d’auteurs vivant et écrivant à des époques différentes comme Musabbiḥī, Ibn al-Ṭuwayr (1130-1220) ou dʾIbn al-Maʾmūn (m. 1192).



















 Il provoque ainsi une sorte de « télescopage » chronologique qui, si on n’y prend garde, donne l’illusion d’un enchaînement logique des événements alors que ceux-ci se déroulèrent parfois à plusieurs siècles d’intervalle. En outre, certains passages utilisés dans ses Khiṭaṭ apparaissent dans plusieurs chapitres de l’ouvrage, mais dans des contextes légèrement différents et, surtout, avec des phrases tronquées ou transformées pour mieux servir les propos de l’auteur. Cette méthode aboutit parfois à des contradictions. De plus, il faut aussi se demander pourquoi Maqrīzī consacra du temps à retracer l’histoire d’une dynastie dont les pratiques religieuses et la mémoire ne déclenchaient certes plus à son époque la fureur des autorités mameloukes, mais n’en constituaient pas moins des références peu orthodoxes pour un historien sunnite32. Le travail de Maqrīzī paraît donc quelque peu anachronique. Il faut peut-être y voir une critique masquée de la faiblesse des sultans de son temps, notamment dans le domaine maritime, mais pas seulement.


















 Cela pose alors le problème de la fiabilité non seulement de ses propos mais aussi d’un certain nombre d’autres auteurs dont les œuvres ont pu être reconstituées grâce à lui, comme par exemple les textes dʾIbn al-Maʾmūn ou dʾIbn al-Ṭuwayr. En l’absence d’autres versions peut-être moins partiales et partielles, il est difficile de se prononcer sur ce qu’il faudrait appeler le degré de transformation des ouvrages de ces divers auteurs par Maqrīzī. En outre, ce dernier est à l’origine d’un dictionnaire biographique qui retrace l’existence des personnalités marquantes d’Égypte depuis l’apparition de l’Islam. Plusieurs de ces biographies concernent des hommes qui jouèrent un rôle important pour la dynastie et exercèrent parfois des fonctions en rapport avec la vie maritime. Dans la recherche de renseignements sur la mer, la consultation des recueils biographiques depuis ceux qu’al-Kindī (m. c. 961) consacra aux juges (quḍāt, sing. qāḍī) et aux gouverneurs (wulāt, sing. wālī) d’Égypte au xe siècle, aux recueils dʾIbn Khallikān (m. 1282) et dʾIbn Hajar al-ʿAsqalānī (m. 1449), de Maqrīzī en passant par l’ouvrage du maghrébin Abū Bakr al-Malikī (m. 1061), apportent souvent des informations passées ailleurs sous silence, comme le recrutement des marins ou les profils des administrateurs de certaines villes littorales fatimides. Les recueils biographiques permettent aussi d’appréhender le rayonnement et l’attraction qu’exerçaient certaines villes, en l’occurrence ici les cités littorales fatimides, sur les voyageurs musulmans épris de savoirs33.






















 Parallèlement aux chroniques historiques et aux recueils biographiques, l’administration fatimide a donné naissance à une catégorie particulière d’ouvrages destinés aux fonctionnaires visant à leur expliquer les règles à respecter pour la rédaction des documents officiels. Dans cette catégorie, si le Qānūn dīwān al-rasāʾil dʾIbn al-Ṣayrafī (1070-1147) permet d’appréhender le fonctionnement de l’administration centrale égyptienne, trois autres textes rédigés par des agents de l’État fatimide passés au service des Ayyoubides s’avèrent aussi essentiels sur les thèmes qui nous occupent ici. Dans son Nuzhat al-rawḍatayn fī akhbār al-dawlatayn, Ibn al-Ṭuwayr, mêle des informations chronologiques aux descriptions du fonctionnement des grands bureaux (dīwān) fatimides. L’auteur a travaillé dans l’appareil administratif fatimide avant d’entrer au service de l’administration ayyoubide. Si l’original est perdu, une édition en a toutefois été faite à partir des nombreux extraits qui se trouvent chez plusieurs compilateurs parmi lesquels figure Maqrīzī. Ibn al-Ṭuwayr laisse des renseignements sur les institutions égyptiennes, les arsenaux et la construction navale, ou encore le cérémonial se rapportant à la flotte. Parmi les autres textes rédigés par des administrateurs des derniers califes d’Égypte, il faut signaler les écrits de Makhzūmī (xiie siècle) et dʾIbn Mammātī (m. 1209).


















 L’importance du Kitāb al-Minhāj fī ʿilm kharāj Miṣr de Makhzūmī a été signalée par Claude Cahen34. En effet, le Minhāj est un traité fiscal qui, bien qu’incomplet, apporte néanmoins des renseignements majeurs sur le système douanier égyptien et sans doute fatimide au xiie siècle. Les informations de Makhzūmī peuvent être complétées par l’ouvrage dʾIbn Mammātī dans lequel ce dernier explique les règles de fonctionnement des institutions de l’État ayyoubide, règles qui sont parfois la continuation des règlements fatimides. Enfin, il est possible de s’appuyer sur quelques lettres officielles fatimides conservées pour leur qualité de rédaction ou parce qu’elles représentaient, pour certaines communautés, des écrits sacrés, car émanant directement de la main des imams-califes. Ainsi, Qalqashandī donne accès à une lettre diplomatique qui permet d’appréhender les relations entre le calife al-Ḥāfiẓ (r. 1131-1149) et le roi Roger ii de Sicile (r. 1130- 1154). En dépit de son caractère unique, ce document apporte des informations essentielles sur le rôle du calife dans le commerce maritime. Les indications qu’il fournit peuvent être croisées avec d’autres renseignements, notamment ceux mentionnés par les chroniques, mais aussi ceux contenus dans la documentation de la Geniza du vieux Caire. Plusieurs documents issus des archives de l’État fatimide se sont retrouvés dans l’immense corpus documentaire de la Geniza.













 Samuel Miklos Stern et Geoffrey Khan ont publié plusieurs de ces textes qui éclairent un peu mieux certains domaines qui nous occupent ici, comme l’achat du bois de construction navale ou l’administration des pêcheries égyptiennes35. D’autres documents ont été conservés de manière indirecte dans les archives des chancelleries des cités italiennes et certains des traités signés ont été édités par Michelle Amari dès le xixe siècle. En outre, les archives de la daʿwa ismaélienne yéménite et indienne ont aussi livré un recueil de quelque soixante-six lettres adressées aux chefs successifs de la dynastie yéménite des Sulayhides, au pouvoir à partir des années 1040, a été conservé. Ces lettres couvrent une période qui va de janvier 1054 à février 1096. Au Yémen, les Sulayhides jouèrent un temps le rôle de missionnaires-propagandistes de la daʿwa ismaélienne. Ils furent les véritables lieutenants de la dynastie fatimide dans le sud de la péninsule arabique.


























 Les lettres en question furent en grande partie rédigées sous les ordres du calife al-Mustanṣir (r. 1035-1094), mais aussi sous ceux de sa mère, de sa sœur, ou encore de la sœur d’al-Ẓāhir (r. 1021-1035) et enfin du calife al-Mustaʿlī (r. 1094-1101)36. Elles constituent un témoignage essentiel pour comprendre la situation du califat durant la seconde moitié du xie siècle37. Elles permettent de mieux saisir le rôle de Badr al-Jamālī (v. 1073- 1095) et de son fils al-Afḍal (v. 1095-1121) dans la daʿwa ismaélienne ainsi que dans la redéfinition des objectifs politiques de la dynastie et leur redéploiement vers de nouveaux horizons, particulièrement vers la mer Rouge qui joua un rôle croissant pour l’État fatimide comme le montrent encore une fois les lettres de la Geniza du vieux Caire. Ces derniers documents, désormais bien connus de tous les chercheurs qui s’intéressent à l’histoire de la Méditerranée médiévale, constituent un corpus majeur pour ce travail38. Nombreux sont les chercheurs qui, depuis Shelomo Dov Goitein, ont utilisé ces documents pour retracer l’histoire des communautés juives actives en Méditerranée, en mer Rouge et dans le monde fatimide au sens large. 

















De très nombreux documents sont désormais accessibles sur le site internet de l’Université de Princeton et, depuis les années 1990, plusieurs historiens ont publié, et parfois même traduit et commenté des centaines de documents concernant leurs sujets de recherche. On peut ainsi signaler les diverses sommes publiées par Moshe Gil ou Shelomo Simonsohn relatives à la vie des communautés juives du Bilād al-Shām ou de Sicile39. Très récemment, le corpus de lettres rassemblées par Shelomo Dov Goitein concernant la mer Rouge et l’océan Indien a été publié grâce aux efforts du professeur Mordechai Akiva Friedman. Ces différentes entreprises permettent ainsi d’avoir accès à des transcriptions claires de milliers de documents qui datent pour l’essentiel de la période fatimide. Ils apportent des éclairages vivants et concrets aux chroniques arabes et autres traités fiscaux parfois très théoriques.






















 Si, du fait de leur caractère presque doublement communautaire -˗̶ elles sont principale ment rédigées par les marchands juifs, et notamment par ceux suivant le rite dit palestinien ̶ ces lettres ont un temps été considérées comme d’un apport limité pour retracer l’histoire des institutions musulmanes, il est désormais admis qu’elles offrent un intérêt bien plus large, même s’il est évident que ces documents ne peuvent pas tout dire ou expliquer40. Ces lettres, généralement utilisées pour retracer la vie des communautés juives en pays d’Islam, revêtent aussi un intérêt majeur pour connaître l’histoire économique de la dynastie fatimide. Cependant, force est de constater que ce corpus a été sous-utilisé pour écrire l’histoire de la dynastie fatimide. De très nombreux textes font pourtant allusion à des ports sous contrôle de la dynastie, à des administrateurs et des institutions fatimides qui ne sont que très superficiellement évoqués dans des sources plus classiques. En outre, ces lettres illustrent parfois de manière très concrète la vie quotidienne des populations des cités littorales laissées de côté par les chroniques officielles. Ce rapide tour d’horizon des sources utilisables pour retracer l’histoire des relations des Fatimides à la mer ne serait pas complet sans l’évocation des documents rédigés à l’extérieur du monde musulman et sans avoir souligné l’importance des sources archéologiques. La consultation des chroniques latines des croisades ou encore de textes rédigés par des historiens grecs fournit en effet des informations parfois absentes des chroniques ou des géographies issues du monde musulman.


















 Les premiers ennemis des Fatimides sur mer furent avant tout les Byzantins. Les chroniqueurs originaires des territoires soumis à l’autorité du Basileus ont rédigé quelques textes que nous avons consultés dans leur version traduite. Si, à l’instar des chroniques arabes, ces ouvrages sont surtout riches pour l’histoire politique et événementielle, ils offrent une vision extérieure des expéditions navales fatimides et remettent parfois en cause la version présentée par les historiens musulmans. La Chronique de Cambridge et celle de Jean Skylitzes offrent des témoignages sur les traités de paix passés avec les Fatimides, lesquels ne communiquèrent pas toujours sur cet aspect-là de leur politique. Il est aussi possible de trouver des renseignements sur les cités portuaires fatimides sous la plume de quelques voyageurs européens, mais la majeure partie de nos informations est tirée de chroniques rédigées par les chroniqueurs chrétiens des croisades dont Foucher de Chartres ou encore Guillaume de Tyr sont les représentants les plus célèbres avec Guibert de Nogent. Abordées avec l’attitude critique nécessaire liée à leur caractère hostile aux forces musulmanes, ces chroniques apportent néanmoins des renseignements qui vont au-delà de l’histoire-bataille. Elles laissent parfois percer des détails sur la forme des embarcations fatimides, sur le nombre de soldats embarqués et leurs équipements. L’archéologie complète très souvent les sources écrites. Malgré un essor relativement récent, il faut bien avouer que les recherches archéologiques se rapportant à la dynastie fatimide ou à la période qui nous concerne ici sont encore relativement limitées en comparaison avec des fouilles sur des sites antiques.




















 Les campagnes de fouilles archéologiques effectuées dans les anciennes villes portuaires se sont souvent peu intéressées à la période médiévale, elles apportent malgré tout quelques données intéressantes sur l’état des fortifications ou donnent des éléments de réflexion sur les structures portuaires médiévales41. Toutefois, depuis quelques années, des fouilles ont lieu en Tunisie ou en Sicile, sur les sites de l’ancienne capitale fatimide d’al-Manṣūriyya ou à Palerme42. Une récente campagne archéologique menée sur les côtes libyennes a permis de constater la présence d’une grande quantité de matériaux qui datent de la période fatimide, confirmant l’essor du commerce maritime à cette époque43. Les découvertes sous-marines récentes réalisées devant Césarée permettront peut-être d’apporter des informations inédites sur les navires fatimides44. Les fouilles effectuées tant en Égypte qu’au Maghreb ou en Europe méridionale mettent en lumière la circulation de productions artisanales ou agricoles issues du monde fatimide. L’archéologie a aussi permis de faire progresser les connaissances sur la construction navale à la période fatimide même si aucune épave d’un bâtiment de guerre fatimide n’a été retrouvée pour le moment45. Loin d’être exhaustive, cette présentation de la documentation permet de comprendre que les ressources documentaires concernant cette dynastie, quoique relativement abondantes, restent loin de constituer un corpus homogène. La nature très hétérogène des éléments constitutifs de ce corpus nécessite une approche critique spécifique dont les règles ont déjà été fixées par tous ceux qui se sont intéressés aux Fatimides et aux thèmes qui nous occupent ici46. L’analyse des documents témoigne de la fréquence des références à la mer et à des thèmes maritimes en général. Elle soulève des questions relatives à la nature des liens qui unissaient les Fatimides à la mer. Plus largement,cela permet de mieux appréhender comment, ce qui est généralement qualifié d’empire fatimide, ou de Fatimid Empire dans l’historiographie en langue anglaise notamment fonctionnait de manière concrète. La question du fonctionnement impérial du califat fatimide n’est pas à mettre en doute, notamment au regard des travaux sur les empires menés par Jane Burbank et Frederick Cooper et de la définition qu’il en donnent47. L’objectif de ce travail sera de comprendre de quelle manière les Fatimides utilisèrent la mer entre leur prise de pouvoir en Ifrīqiyya en 909-910 et leur disparition en 1171.


















 La documentation met en évidence que ces rapports allaient bien au-delà de la simple guerre navale qui demeure l’aspect le plus visible et donc le plus connu. Toutefois, même dans ce domaine, des questions demeurent. L’hypothèse que nous tenterons d’explorer ici est que les Fatimides mirent peu à peu en place un système de gouvernement complexe qui s’appuyait largement sur la mer, voire qui dépendait d’elle, notamment par la légitimité qu’elle contribua à procurer à cette dynastie représentant un courant minoritaire de l’islam. 




















À l’intérieur de cette mécanique, dont nous tenterons de comprendre le fonctionnement, les rouages économiques et financiers, mais aussi militaires et idéologiques formaient autant d’éléments qui s’entraînaient mutuellement pour faire vivre la dynastie. Pour appréhender cette patiente élaboration dans sa complexité, c’est par le cadre géographique dans lequel se déroula l’aventure fatimide et par la chronologie des entreprises navales qu’il faut sans doute commencer. Cela nécessite en premier lieu d’envisager la géographie des divers littoraux qui purent être sous le contrôle des Fatimides et les conditions physiques dans lesquelles se déroulèrent les expéditions navales fatimides afin de dégager les potentialités militaires aussi bien qu’économiques des côtes fatimides et des ports qui s’y trouvaient. Cette approche s’avère d’autant plus indispensable que durant les deux siècles étudiés ici, l’étendue des littoraux sous l’autorité des Fatimides évolua considérablement (chapitre 1). L’Ifrīqiyya et la Sicile, à plus forte raison les côtes égyptiennes, syro-palestiniennes, ou encore les rives de la mer Rouge, bien qu’obéissant aux Fatimides, n’offraient pas les mêmes possibilités de développement maritime. En outre, les différents espaces côtiers dépendaient de territoires qui obéissaient à des logiques internes propres. Entre la Méditerranée et la mer Rouge, le Nil constituait quasiment un troisième espace maritime avec ses propres contraintes, d’autant plus importantes à analyser que le fleuve joua un rôle considérable dans le mouvement des flottes de guerre fatimide. Ce cadre géographique détermina fortement la navigation et son étude permettra de mieux comprendre l’évolution du rapport de force entre la marine fatimide et ses concurrentes (chapitre 2).


























 L’examen des opérations navales sur la longue durée du califat met en évidence que la marine ne fut pas toujours utilisée avec la même intensité. À des phases d’intense activité et de succès réels qui sont restés dans l’histoire et ont largement alimenté la légende navale fatimide, succédèrent des périodes de ralentissement qui s’expliquent sans doute autant par les objectifs politiques et militaires définis par les hommes au pouvoir que par des problèmes économiques ou géographiques. Ce n’est qu’après cette première étape qui permettra de fixer les cadres de la navigation fatimide que nous aborderons dans une deuxième partie l’organisation navale de la dynastie. La documentation laisse apparaître une organisation quelque peu atypique au regard de la surface littorale dont bénéficièrent les Fatimides. En effet, malgré leur caractère stratégique, les villes côtières qui jalonnaient les littoraux fatimides et formaient, grâce à leurs aménagements portuaires, autant de structures facilitant la navigation et constituèrent souvent des espaces de contestation de la souveraineté fatimide (chapitre 3). Les problèmes rencontrés dans les villes littorales contraignirent les Fatimides à adapter à la fois leur mode d’administration de ces régions côtières et toute leur organisation navale. La localisation des arsenaux, leur fonctionnement et leur organisation, dépendait en effet moins des potentialités géographiques qu’offraient les littoraux que des conditions politiques (chapitre 4). Enfin, en dépit du désintérêt des auteurs pour les navires et pour les hommes qui les faisaient naviguer, certains textes permettent de se faire une idée de la composition des flottes, des navires et des équipages qui embarquaient sur les bâtiments voguant sous le pavillon blanc des Fatimides. Ces textes permettent d’avoir un accès, certes limité, à la gestion de l’élément humain, depuis les simples matelots aux amiraux en passant par les capitaines (chapitre 5).























 Ce sont autant d’aspects qui témoignent du souci de rationalisation et de professionnalisation qui se développa durant tout le règne des Fatimides. Ce souci contribue en outre à révéler l’enjeu idéologique que revêtait alors la puissance navale fatimide et la mer en général (chapitre 6). Ce sujet n’a été que peu abordé dans les études concernant la dynastie, alors qu’il semble au contraire avoir eu un rôle déterminant pour la dynastie ismaélienne qui aspirait à prendre la tête du monde musulman et qui s’engagea dans une compétition idéologique l’opposant aux Umayyades d’al-Andalus et aux Abbassides d’Irak puis aux émirs seldjoukides et leurs épigones à partir des années 1070.















Pour être efficace, une telle organisation exigeait des moyens importants. L’analyse du rôle économique de la mer pour la dynastie constituera ainsi le troisième et dernier temps de cette étude. Les Fatimides surent habilement utiliser la complémentarité et les potentialités qu’offraient la Méditerranée et la mer Rouge. Ces deux espaces maritimes permettaient avant tout aux Fatimides d’avoir accès à plusieurs horizons économiques qui associaient des espaces très proches de l’Égypte à des espaces beaucoup plus éloignés. Chacun de ces espaces avait des potentialités et représentait un intérêt pour la dynastie qui organisa à la fois les littoraux sous son contrôle et ceux qui ne l’étaient pas forcément afin de faire de l’Égypte la plaque tournante du commerce maritime selon une logique qui associait les nécessités économiques, mais aussi idéologiques et politiques (chapitre 7). 




















L’objectif de la dynastie était clairement de contrôler, directement ou indirectement, la navigation et le commerce maritime. Il s’agissait d’utiliser la mer pour faire venir en Égypte toutes les ressources nécessaires au fonctionnement d’une dynastie califale forte consommatrice de matières premières, de productions agricoles et artisanales. Il s’agissait aussi d’attirer les marchands de tous horizons afin de retirer de leurs trafics le plus grand profit possible grâce à l’élaboration d’un système fiscal et douanier performant dans lequel l’Administration et les plus hautes personnalités du régime jouaient un rôle majeur (chapitre 8).






























 Cette aptitude à attirer sur le sol égyptien de grandes quantités de marchandises permit longtemps à la dynastie de disposer de la capacité d’imposer ses propres conditions aux marchands étrangers qui se pressaient de plus en plus nombreux dans les ports fatimides pour acquérir des marchandises qu’ils ne trouvaient pas ailleurs et dont ils obtenaient, à la revente, de forts bénéfices dans une Europe en pleine expansion. Pourtant, sous la pression des Francs, des transformations en Méditerranée et de la conjoncture politique égyptienne, la mer, longtemps source de la prospérité et de puissance pour les Fatimides, contribua peu à peu à les placer dans une forme de dépendance qui participa sans aucun doute de leur affaiblissement puis de leur disparition (chapitre 9).













  

 


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