Download PDF | Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers de Saint-Jean en Auvergne et en Velay (XIIème – XVème siècles) : structures spatiales, cadres de vie et architectures
Laurent d'Agostino , Vol (1, 2, 3)
Doctorat
RÉSUMÉ
En janvier 1129, le concile de Troyes a consacré la naissance du premier ordre religieux militaire de la
Chrétienté, l’ordre du Temple, voué à la défense des Etats Latins d’Orient. À sa suite, l’ordre des Hospitaliers
de Saint-Jean, d’abord tourné vers le soin et l’accueil des pèlerins et des malades à Jérusalem, a opéré cette
mutation fondamentale et s’est militarisé dans les années 1130.
Pour soutenir le front de la guerre
permanente entre les Etats latins et les Sultanats ayyoubides puis mamelouks et financer leurs multiples
châteaux et leurs garnisons, les Templiers et les Hospitaliers ont développé une institution originale, la
commanderie.
Destinées à organiser et à faire fructifier les possessions réunies en Occident, ces seigneuries
ecclésiastiques furent fondées principalement à partir des donations des lignages seigneuriaux qui se
reconnaissaient dans l’action concrète de ces ordres chevaleresques et y trouvaient une réponse à leurs
aspirations spirituelles.
Elles regroupaient des terres, des droits, des bâtiments et des infrastructures
économiques, au sein desquelles vivait et travaillait une population de frères, mais aussi de convers, les
donats, de salariés et de tenanciers. Organisées en circonscriptions territoriales régionales, les Provinces pour
le Temple et les Langues pour l’Hôpital, ces commanderies regroupaient un réseau de dépendances, les
membres, autour d’un chef-lieu. À leur tête, chaque commandeur jouissait d’une certaine autonomie par
rapport au siège de son ordre mais devait, chaque année, assurer la rentabilité de son domaine et reverser
au couvent une part de ses revenus, la responsio.
Au cœur du Massif central, dans les anciens diocèses de Clermont, de Saint-Flour et du Puy, les ordres
religieux militaires étaient présents dès les années 1130 et ont développé leurs premières maisons avant le
milieu du XIIème siècle. Taillées dans les marges de territoires déjà très largement occupés par d’autres ordres
religieux plus anciens, les commanderies s’organisaient en réseaux structurés autour des villes et des axes
routiers, leur permettant un accès aisé aux infrastructures économiques. Les maisons plus rurales étaient
réparties sur tout le territoire et les granges, petites exploitations agricoles autonomes, géraient une partie du
domaine et permettaient de diversifier l’activité et les sources de revenus, par la céréaliculture et la
viticulture en Limagne et dans le val d’Allier, par l’élevage bovin et ovin sur les hauts plateaux du Velay, de
la Margeride et des Combrailles et dans les estives des massifs plus élevés du Sancy et du Cantal.
Au-delà
d’un outil de gestion économique, la commanderie se définit aussi sous l’angle de ses manifestations
matérielles, dont une partie seulement nous est parvenue ; au centre de chaque domaine, les Templiers et les
Hospitaliers ont construit de nombreux bâtiments religieux, résidentiels et agricoles. Le croisement des
sources écrites et des données archéologiques livre une image dynamique de ce que les textes nomment la
« maison de la commanderie », associant des édifices conventuels dans lesquels résidaient les frères, des
chapelles destinées à la communauté religieuse et, parfois, des églises paroissiales qu’ils administraient,
participant à l’encadrement spirituel des populations, enfin des espaces agricoles et utilitaires. Au fil du
Moyen Âge, l’organisation et l’architecture de ces maisons a connu plusieurs mutations majeures, marquées
tout d’abord par le procès du Temple et la remise de ses biens aux Hospitaliers, qui entraînèrent de
profondes modifications dans l’organisation des domaines.
Puis les crises du XIVème siècle et enfin les guerres
de Religion ont provoqué, dans un double mouvement, la destruction et la ruine de nombreux édifices et,
parallèlement, la fortification de ceux qui subsistaient.
M ots-clés : Moyen Âge, archéologie, architecture, ordres religieux militaires, Templiers, Hospitaliers de
Saint-Jean, commanderie
ABSTRACT
In January 1129, the Council of Troyes consecrated the birth of the first military religious order of
Christianity, the Order of the Temple, dedicated to the defense of the Crusader States. In its wake, the order
of the Knight Hospitallers of Saint John, initially providing care to pilgrims and sick people in Jerusalem,
made this fundamental change and became militarized in the 1130s. To support the front of the permanent
war between the Crusader States and the Ayyubid and then Mamluk Sultanates and to finance their multiple
castles and their garrisons, the Templars and the Hospitallers developed an original institution, the
commandery.
These ecclesiastical seigneuries were intended to organize and make the processions gathered
in the West fruitful. They were founded mainly from donations by seigniorial lineages who recognized
themselves in the concrete action of these chivalric orders and found in them an answer to their spiritual
aspirations. They brought together agricultural lands, rights, buildings and economic infrastructures, within
which lived and worked a population of brothers, but also lay brothers, donats, employees and tenants.
Organized into regional territorial districts, the Provinces for the Temple and the Langues for the Hospital,
these commanderies brought together a network of dependencies, the members, around a center. At their
head, each commander enjoyed a certain autonomy in relation to the headquarters of his order.
However,
each year, he had to ensure the profitability of his domain and donate to the convent a part of his income, the
responsio.
In the heart of the Massif Central, in the ancient dioceses of Clermont, Saint-Flour and Le Puy, military
religious orders were present from the 1130s and developed their first houses before the middle of the 12th
century. Carved into the margins of territories already largely occupied by other older religious orders, the
commanderies were organized in networks structured around towns and roads, allowing them easy access
to economic infrastructure. The more rural houses were spread over the entire territory and the barns, small
autonomous agricultural holdings, managed part of the domain and made it possible to diversify the activity
and the sources of income, through cereal growing and viticulture in Limagne and in the valley of Allier, by
raising cattle and sheep on the highlands of Velay, Margeride and Combrailles and in the summer pastures
of the higher massifs of Sancy and Cantal.
Beyond being a tool of economic management, the commandery is
also defined from the point of view of its material manifestations, only a part of which has come down to us.
At the center of each domain, the Templars and the Hospitallers built many religious, residential and
agricultural buildings. The cross-checking of written sources and archaeological data provides a dynamic
image of what the texts call the "commandery's house", combining conventual buildings in which the
brothers resided, chapels intended for the religious community and, sometimes, churches parishes that they
administered, taking part in the spiritual guidance of the populations, and finally agricultural and utilitarian
spaces. Throughout the Middle Ages, the organization and architecture of these houses underwent several
major changes, marked first of all by the trial of the Temple and the handing over of its property to the
Hospitallers, which led to profound changes in the organization of the domains. Then the crises of the 14th
century and finally the Wars of Religion caused, in a double movement, the destruction and ruin of many
buildings and, at the same time, the fortification of those which remained.
K eywords : Middle Ages, achaeology, architecture, Military Ordrers, Templars, Hospitallers of Saint-John,
commandery
AVANT-PROPOS… ET REMERCIEMENTS
À mes parents, pour toutes les chances qu’ils m’ont données.
À Eva, à Lino, pour la vie que nous partageons.
Ne cachons rien : cette recherche est une vieille affaire, exhumée en 2016 grâce à Laurent Schneider et à la
pugnacité amicale de Jean-Michel Poisson. J’ai rencontré les ordres militaires en 1997, alors que je cherchais
un sujet pour mon mémoire de maîtrise à l’université de Clermont-Ferrand. Le professeur Jean-Luc Fray m’a
proposé plusieurs sujets qu’il avait en réserve, parmi lesquels une étude des implantations des Templiers et
des Hospitaliers de Saint-Jean dans le diocèse de Clermont. J’ignorais tout ou presque de ces ordres, à part ce
que tout le monde en sait, qu’ils évoquent les croisades, la Méditerranée, l’Orient et quelque chose d’un peu
sulfureux.
Après deux années de classes préparatoires littéraires et une année de licence à l’université, je ne
connaissais presque rien du Moyen Âge et de la recherche en Histoire médiévale et je découvrais à peine
l’archéologie sur le chantier de la chartreuse du Port-Sainte-Marie dans le Puy-de-Dôme, en compagnie de
Pascale Chevalier, Jean-Luc Mordefroid et Stéphane Guyot notamment. L’un des souvenirs les plus
marquants de cette période a été pour moi une matinée passée avec Jean-Luc Fray aux Archives
départementales du Puy-de-Dôme, qui tentait de m’inculquer les rudiments de la paléographie latine, alors
que je tenais pour la première fois entre les mains un parchemin du XIII ème siècle… j’avais un bagage de
latiniste, certes, mais je butais sur toutes les lettres. Je découvrais à la fois un métier, celui de chercheur, une
région que je connaissais alors bien mal même si j’y avais vécu toute ma jeunesse, l’Auvergne, un patrimoine,
les commanderies.
Passée cette première étape, j’en tirais à la fois un goût prononcé pour ce travail d’enquête, minutieux et
patient, mais aussi une frustration, celle de travailler souvent seul et de ne pas assez parcourir le terrain de
mes recherches, de voir et de comprendre où et comment ces gens avaient vécu. Je faisais toujours de
l’archéologie, que je continuais d’apprendre au fil des chantiers bénévoles. Au tournant des années 2000, il y
avait à Lyon, au CIHAM (UMR 5648), un axe de recherche intitulé Mil.Ord (Military Orders), coordonné par
Nicole Bériou et Jacques Chiffoleau, et plusieurs étudiants qui travaillaient sur le sujet, Eric Rouger sur le
Lyonnais et le Dauphiné et Damien Carraz sur la Provence. J’ai donc proposé un sujet de Diplôme d’Etudes
Approfondies, toujours sur les commanderies d’Auvergne, mais cette fois en ouvrant la perspective sur une
approche à la fois historique et franchement archéologique : il ne s’agissait plus seulement de recenser les
implantations, les possessions, d’établir la chronologie, mais d’examiner les bâtiments ou du moins ce qu’il
en restait. J’ai alors rencontré Jean-Michel Poisson et le regretté Pierre Guichard (†), ils ont accepté et
convenu de m’encadrer ensemble pour cette recherche et nous avons alors étendu l’espace de travail au
Velay. Après une année de Service militaire passée dans le civil à l’université de Clermont, j’enchaînais six
années de travail presque ininterrompu pour le DEA et le doctorat, de 2000 à 2005. À cheval sur les deux
villes et les deux universités, je bénéficiais des enseignements et des conseils avisés de Bruno Phalip et Annie
Regond à Clermont. Parallèlement, à Lyon, j’eus la chance, rare dans une vie d’étudiant, de participer sous la
direction de Nicole Bériou et de Philippe Josserand à l’élaboration du Dictionnaire européen des ordres religieux
militaires au Moyen Âge, paru en 2009, une œuvre collective colossale de plus 5 ans et d’un millier de pages
réunissant 240 auteurs de toutes nationalités.
Pendant ces années de formation, il a fallu tout apprendre. La recherche, en bibliothèques et en archives, et la
paléographie d’abord, en fréquentant une documentation écrite et iconographique échelonnée sur près de
huit siècles, du XIIe au XIXe siècle, répartie entre cinq fonds départementaux (Allier, Puy-de-Dôme, Cantal,
Haute-Loire, Rhône), les Archives nationales et la Bibliothèque nationale, les Archives du Vatican. J’ai fait des
rencontres et bénéficié de conseils et d’aides précieuses, Jean-Eric Jung puis Edouard Bouyé notamment,
anciens directeurs des Archives du Cantal, puis Lucien Gerbeau et Georges Dusserre (Société de l’Histoire et
du Patrimoine de l’Ordre de Malte). Mais il a aussi fallu apprendre le métier d’archéologue, c’est un travail
moins solitaire mais d’une complexité certaine, à la fois technique et administrative. Je continuais le terrain
au contact de Jean-Michel Poisson à Albon qui, au-delà de la fouille a su m’initier à la topographie et me
prêter le matériel du CIHAM pour mes premiers chantiers, mais aussi de Pascale Chevalier, Sophie Liégard, Arlette Maquet et Alain Fourvel à Souvigny, de Sébastien Bully à Saint-Claude, et plus occasionnellement de
Christian Sapin, de Fabrice Henrion et de l’équipe du Centre d’Etudes Médiévales d’Auxerre. Annie et JeanPhilippe Usse (Fédération des archéologues du Cantal) ont toujours été amicaux à mon égard et de bons conseils.
Quelles soient au long cours ou plus ponctuelles, toutes ces rencontres m’ont ouvert la voie de la recherche
de terrain. Il a fallu convaincre aussi les maires, les associations, les propriétaires privés de ces
commanderies, qui m’ont ouvert leurs portes pour une heure le temps d’une visite ou parfois pour plusieurs
mois le temps d’une étude de bâti ou de sondages dans leur jardin ! M. et Mme Conti au Mayet-d’Ecole et M.
Saget, conseiller municipal, M. et Mme Chassany à Chauliac, M. et Mme Bon à Yssac-la-Tourette, M. et Mme
Cormier à Saint-Cirgues-de-Malbert ; à Carlat, l’ancien maire M. Bernard Caranobe, SAS le prince Rainier de
Monaco (†) et SAS le prince Albert de Monaco, propriétaires du rocher, ainsi que leurs administrateurs des
biens. Toute ma gratitude va aussi aux élus et aux agents des collectivités qui ont soutenu mes recherches :
dans l’Allier, M. Gérard Dériot, ancien président du Département, M. Jean-Jacques Rozier, conseiller
départemental, Mme Nathalie Cambray. Il a fallu apprendre à gérer un chantier de fouilles : non seulement
faut-il obtenir l’autorisation des propriétaires, mais aussi de l’État. Le personnel du Service Régional
d’Archéologie d’Auvergne (aujourd’hui Auvergne-Rhône-Alpes) a toujours eu à mon égard une
bienveillance dont je leur suis redevable. Bernadette Sauget-Fizellier, toujours disponible et chaleureuse,
d’abord, puis Philippe Vergain, alors Conservateur régional, ont su me guider, me conseiller, redresser mes
erreurs stratégiques. Frédérik Letterlé, ensuite, a soutenu mes dossiers avec bienveillance. Hélène Dartevelle
et René Liabeuf ont été des conseils attentifs et amicaux, ainsi que tous ceux qui m’ont accueilli et conseillé
au centre de documentation et à la carte archéologique, Isabelle Magy, Isabelle Védrine, Elisabeth Lacoste,
Yannick Rialland, Yves Duterne (†). J’ai une pensée aussi pour ceux qui, dans l’ombre, contrôlent et valident
les projets scientifiques, en particulier Pierre-Yves Laffont, qui a examiné et soutenu mes premières
demandes d’autorisation et mes premiers rapports. Le personnel de la Conservation Régionale des
Monuments Historiques et des Unités Départementales d’Architecture et du Patrimoine du Puy-de-Dôme et
du Cantal m’a aussi toujours réservé un accueil favorable. Sur le plan financier, il a fallu devenir
gestionnaire, solliciter des budgets et trouver des échos auprès du Ministère de la Culture bien sûr, mais
aussi des Départements de l’Allier, du Cantal et de la Haute-Loire, rendre des comptes.
Au-delà des multiples visites et des campagnes de prospection à la recherche des sites, les chantiers de
fouilles ont été particulièrement formateurs, parfois douloureux aussi tant la charge de travail était immense.
Avec le recul, il était certainement inconscient de lancer des chantiers de fouilles sur plusieurs sites dans le
cadre d’une thèse. Sans cela, sans doute aurait-elle été achevée bien avant, mais son contenu aurait été bien
différent ! J’aurai une pensée pour tous ceux et toutes celles qui ont été des compagnons d’un chantier ou de
toutes ces années, certain(e)s sont resté(e)s des ami(e)s, d’autres sont devenu(e)s des professionnel(le)s
reconnu(e)s. J’espère qu’ils et elles auront conservé de ces expériences communes un souvenir enrichissant.
En tout cas, ce n’est pas la moindre de mes fiertés que d’avoir partagé ces moments avec eux et d’avoir ainsi
appris mon métier. J’ai une reconnaissance sans borne bien sûr pour Evelyne Chauvin-Desfleurs, complice
quotidienne au travail comme dans la vie, ainsi que pour Karen Jeantelet, qui a pris en charge les études
anthropologiques de mes chantiers, et pour Stéphane Guyot, qui a non seulement bien voulu m’éclairer sur
le mobilier céramique, mais a aussi pris le temps de m’enseigner bien des gestes techniques dont j’ignorais
tout, à commencer par le dessin archéologique manuel et informatique. Je remercierai tout particulièrement
Vincent Buccio, Rémi Carme, Matthias Delmotte, Marieke Fernandez de Heredia, Laurent Fiocchi, Geneviève
Gascuel, Julien Guillon, Sophie Latouille, François Leray, Damien Martinez, Hervé Miraton, Claire Mounier,
Mylène Navetat, Nadia Saint-Luc, Rodolphe Valeix, Elsa Vidil, Julie Conan, David Morel, Marie Charbonnel,
pour les moments partagés durant ces années et leur aide permanente ou ponctuelle. Toute ma gratitude va
également aux pilotes des aéroclubs de Brioude, de Saint-Flour/Coltines et du Puy/Loudes qui m’ont permis
de mener des campagnes de photographies aériennes passionnantes en leur compagnie, en même temps que
de vivre de magnifiques expériences des paysages. Enfin, mes chaleureux remerciements vont à BernardNoël Chagny, pionnier de la photographie aérienne basse altitude et bricoleur génial, et à son épouse AnneMarie Chagny-Sève, pour leur contribution à la documentation de Carlat.
En 2005, alors que je menais encore des chantiers à Carlat, cette expérience acquise sur le terrain m’a ouvert
les portes de l’archéologie préventive. C’est un monde différent. C’est une chose de mener des fouilles de
recherche fondamentale où le site ne va pas disparaître après notre départ, c’en est une autre d’avoir à gérer
des engins de terrassement de 20 tonnes, des équipes de 20 personnes d’horizons différents et les délais des aménageurs qui n’attendent que votre départ. Les opportunités, les contrats, les grands déplacements du
Toulousain à la Bourgogne et de l’Aquitaine aux Alpes, des problématiques nouvelles aussi qu’il a fallu
appréhender, ce grand bain m’a noyé et la thèse avec. Pourtant, elle était toujours là, à la fois chimère et
espoir de voir l’achèvement de tant d’années de travail. Il s’est passé 10 ans sans que rien ou presque ne
progresse, rouvrir les dossiers de temps en temps pour un article, une conférence, un colloque, les refermer
presque aussitôt. C’était sans compter sur ceux qui, amicalement, demandaient des nouvelles avec gentillesse
mais insistance, Jean-Michel Poisson et Anne Baud en tête. Deux propositions ont fait ressurgir le Temple et
l’Hôpital dans mes recherches, qui avaient divergé sur d’autres terrains.
Bruno Phalip, Anne Baud et JeanMichel Poisson commençaient en 2014 une grande mission de recherche sur le château de Belvoir en Israël.
Un château de l’Hôpital en Galilée ? Loin des commanderies de Haute-Auvergne, où il faisait parfois 6°C le
matin au mois de juillet, Belvoir avait le goût de la Terre sainte, du soleil brûlant et de la poussière âcre,
impossible de refuser une telle proposition. Et, fin 2015, Emmanuelle Régagnon, ingénieure au CNRS et
attachée à une antenne du laboratoire Archéorient installée dans une ancienne commanderie du Temple en
Ardèche, Jalès, que j’avais rencontrée cinq ans plus tôt lors d’une formation, me contacte par téléphone : avec
Olivier Barge, elle cherche un spécialiste des ordres militaires qui voudrait bien faire une étude de leurs
locaux. Qu’à cela ne tienne ! Nous avons, ensemble et sur un coup de tête, monté une équipe pluridisciplinaire et mené pendant quatre ans d’une amitié naissante l’étude de ce site exceptionnel.
Il fallait finir ce qui était commencé : Laurent Schneider, nouvellement attaché à l’EHESS et au CIHAM à
Lyon, a bien voulu soutenir ce projet à partir de 2016 pour le mener à son terme. Je l’en remercie, il a su me
remotiver, proposer des solutions concrètes et rendre possible l’achèvement de cette recherche. Jean-Michel
Poisson, présent depuis les origines, m’a fait l’amitié de relire et d’amender ce travail.
Jacques Chiffoleau,
Jean-Louis Gaulin et Nicolas Carrier m’ont eux aussi fait profiter de leurs conseils bienveillants. L’arrivée de
mon fils, entre temps, a pimenté encore un peu la fin de la partie. C’était une œuvre d’étudiant, une œuvre
de jeunesse et d’apprentissage ; arrivé au milieu de ma vie professionnelle, il a fallu en réécrire bien des
chapitres. Terminée sur le tard, elle n’est pas sans défaut, ce qu’elle avait de neuf à l’époque de mes débuts, il
y a plus de vingt ans, est un peu émoussé aujourd’hui car la recherche a progressé. J’espère toutefois qu’elle
livrera une image renouvelée d’un patrimoine encore bien méconnu.
La recherche archéologique sur le terrain ne peut être menée en solitaire, sans la contribution des amis, des
collègues, des étudiants, des bénévoles de tous horizons qui participent aux chantiers. Qu’ils trouvent ici ma
sincère gratitude :
- au Mayet-d’Ecole (2002-2003) : Jon Bernt, Camille Blancher, Vincent Buccio, Amélie Chanet, Marie
Charbonnel, Evelyne Chauvin-Desfleurs, Mathias Delmotte, Alice Dionnet, Eliane Fairon, Sophie Latouille,
Mariecke Fernandez de Heredia, Julien Guillon, Karen Jeantelet, Sophie Martin, Audrey Martin, Hervé
Miraton, David Morel, Mylène Navetat, Sophie Nicolas, Veronika Nova, Valérianne Pace, Veerle Pauwels,
Julien Plantin, Isabelle Pignot, Emilie Roches, Nadia Saint-Luc, Maya von Moos, Seraina von Moos, David
Zmyslowski.
- à Saint-Cirgues-de-Malbert (l’Hôpital-Chaufranche, 2004) : Elisabeth Blanc, Evelyne Chauvin-Desfleurs,
Marieke Fernandez de Heredia, Julien Guillon, Karen Jeantelet, Mickaël Journet, Sophie Latouille, David
Morel, Claire Mounier, Mylène Navetat, Sophie Nicolas, Julien Plantin, Nadia Saint-Luc, Rodolphe Valeix.
- à Carlat (2004-2006) : Sébastien Bauvet, Rémi Carme, Sébastien Champeyrol, Marie Charbonnel, Evelyne
Chauvin-Desfleurs, Hervé Cochard, Julie Conan, Laurent Fiocchi, Sophie Latouille, Geneviève Gascuel,
Julien Guillon, Sandra Marcadet, Émilie Marchadier, Damien Martinez, Hervé Miraton, David Morel, Claire
Mounier, Laurence Murat, Mylène Navetat, Julien Plantin, Xavier Rivière, Nadia Saint-Luc, Gaëlle
Tendraien, Rodolphe Valeix, Elsa Vidil, A. Yonnet
aménageurs qui n’attendent que votre départ. Les opportunités, les contrats, les grands déplacements du
Toulousain à la Bourgogne et de l’Aquitaine aux Alpes, des problématiques nouvelles aussi qu’il a fallu
appréhender, ce grand bain m’a noyé et la thèse avec. Pourtant, elle était toujours là, à la fois chimère et
espoir de voir l’achèvement de tant d’années de travail. Il s’est passé 10 ans sans que rien ou presque ne
progresse, rouvrir les dossiers de temps en temps pour un article, une conférence, un colloque, les refermer
presque aussitôt. C’était sans compter sur ceux qui, amicalement, demandaient des nouvelles avec gentillesse
mais insistance, Jean-Michel Poisson et Anne Baud en tête. Deux propositions ont fait ressurgir le Temple et
l’Hôpital dans mes recherches, qui avaient divergé sur d’autres terrains. Bruno Phalip, Anne Baud et JeanMichel Poisson commençaient en 2014 une grande mission de recherche sur le château de Belvoir en Israël.
Un château de l’Hôpital en Galilée ? Loin des commanderies de Haute-Auvergne, où il faisait parfois 6°C le
matin au mois de juillet, Belvoir avait le goût de la Terre sainte, du soleil brûlant et de la poussière âcre,
impossible de refuser une telle proposition. Et, fin 2015, Emmanuelle Régagnon, ingénieure au CNRS et
attachée à une antenne du laboratoire Archéorient installée dans une ancienne commanderie du Temple en
Ardèche, Jalès, que j’avais rencontrée cinq ans plus tôt lors d’une formation, me contacte par téléphone : avec
Olivier Barge, elle cherche un spécialiste des ordres militaires qui voudrait bien faire une étude de leurs
locaux. Qu’à cela ne tienne ! Nous avons, ensemble et sur un coup de tête, monté une équipe pluridisciplinaire et mené pendant quatre ans d’une amitié naissante l’étude de ce site exceptionnel.
Il fallait finir ce qui était commencé : Laurent Schneider, nouvellement attaché à l’EHESS et au CIHAM à
Lyon, a bien voulu soutenir ce projet à partir de 2016 pour le mener à son terme. Je l’en remercie, il a su me
remotiver, proposer des solutions concrètes et rendre possible l’achèvement de cette recherche. Jean-Michel
Poisson, présent depuis les origines, m’a fait l’amitié de relire et d’amender ce travail. Jacques Chiffoleau,
Jean-Louis Gaulin et Nicolas Carrier m’ont eux aussi fait profiter de leurs conseils bienveillants. L’arrivée de
mon fils, entre temps, a pimenté encore un peu la fin de la partie. C’était une œuvre d’étudiant, une œuvre
de jeunesse et d’apprentissage ; arrivé au milieu de ma vie professionnelle, il a fallu en réécrire bien des
chapitres. Terminée sur le tard, elle n’est pas sans défaut, ce qu’elle avait de neuf à l’époque de mes débuts, il
y a plus de vingt ans, est un peu émoussé aujourd’hui car la recherche a progressé. J’espère toutefois qu’elle
livrera une image renouvelée d’un patrimoine encore bien méconnu.
La recherche archéologique sur le terrain ne peut être menée en solitaire, sans la contribution des amis, des
collègues, des étudiants, des bénévoles de tous horizons qui participent aux chantiers. Qu’ils trouvent ici ma
sincère gratitude :
- au Mayet-d’Ecole (2002-2003) : Jon Bernt, Camille Blancher, Vincent Buccio, Amélie Chanet, Marie
Charbonnel, Evelyne Chauvin-Desfleurs, Mathias Delmotte, Alice Dionnet, Eliane Fairon, Sophie Latouille,
Mariecke Fernandez de Heredia, Julien Guillon, Karen Jeantelet, Sophie Martin, Audrey Martin, Hervé
Miraton, David Morel, Mylène Navetat, Sophie Nicolas, Veronika Nova, Valérianne Pace, Veerle Pauwels,
Julien Plantin, Isabelle Pignot, Emilie Roches, Nadia Saint-Luc, Maya von Moos, Seraina von Moos, David
Zmyslowski.
- à Saint-Cirgues-de-Malbert (l’Hôpital-Chaufranche, 2004) : Elisabeth Blanc, Evelyne Chauvin-Desfleurs,
Marieke Fernandez de Heredia, Julien Guillon, Karen Jeantelet, Mickaël Journet, Sophie Latouille, David
Morel, Claire Mounier, Mylène Navetat, Sophie Nicolas, Julien Plantin, Nadia Saint-Luc, Rodolphe Valeix.
- à Carlat (2004-2006) : Sébastien Bauvet, Rémi Carme, Sébastien Champeyrol, Marie Charbonnel, Evelyne
Chauvin-Desfleurs, Hervé Cochard, Julie Conan, Laurent Fiocchi, Sophie Latouille, Geneviève Gascuel,
Julien Guillon, Sandra Marcadet, Émilie Marchadier, Damien Martinez, Hervé Miraton, David Morel, Claire
Mounier, Laurence Murat, Mylène Navetat, Julien Plantin, Xavier Rivière, Nadia Saint-Luc, Gaëlle
Tendraien, Rodolphe Valeix, Elsa Vidil, A. Yonnet
LA CROISADE ET LA GENÈSE DES ORDRES RELIGIEUX MILITAIRES
En 1095, à Clermont, le pape Urbain II appelait les chrétiens et, en premier, lieu la chevalerie occidentale, à
libérer les lieux saints, c’est-à-dire à conquérir Jérusalem, alors aux mains des califes fatimides du Caire.
Contribuant à forger une doctrine chrétienne de la guerre sainte, calquée sur le djihad musulman, Urbain II
amorçait ainsi le mouvement des croisades à l’occasion d’un concile tenu au siège épiscopal de la cité des
Arvernes. Promoteur de la Réforme grégorienne et de la « Paix de Dieu », Urbain II cherchait avant tout à
canaliser les forces guerrières de la société occidentale vers un but théologiquement louable et à endiguer du
même coup la violence qui décimait les rangs de la chevalerie et entraînait la spoliation des biens de l’Eglise4
.
La prise de Jérusalem en 1099, fruit d’un engouement immense et de la prise de la croix par des milliers de
pèlerins de tout l’Occident, s’est accompagnée de la fondation de quatre royaumes francs sur la rive orientale
de la Méditerranée : le comté d’Edesse, la principauté d’Antioche, le comté de Tripoli et le royaume de
Jérusalem.
La mission des croisés se transforma en mission de conservation et de protection des lieux saints. Autour de
la basilique du Saint-Sépulcre, édifiée par l’empereur Constantin au IVème siècle sur le lieu de la crucifixion et
du tombeau du Christ et reconstruite par les croisés au début du XIIème siècle, gravitait une confrérie de
chevaliers engagés pour sa défense. Deux chevaliers s’y étaient associés, Godefroid de Saint-Omer qui en
faisait partie vers 1101 et, vers 1113, Hugues de Payns, croisé originaire de Champagne5
. Sous l’impulsion
d’Hugues, quelques années plus tard, en 1120, les deux hommes et sept autres chevaliers décidèrent de
fonder une milice dévouée au service du Christ et à la protection des pèlerins et de la Terre Sainte6
. Ils
reçurent un soutien immédiat du roi de Jérusalem Baudoin II qui les installa dans la mosquée Al-Aqsa sur
l’esplanade du Temple de Jérusalem, duquel ils tirèrent leur nom. La nouvelle milice reçut sa justification
théologique au concile de Troyes en janvier 1129, puis elle prit son essor, soutenue par saint Bernard dans
son De laude novae militiae vers 11317
. Dotée d’une règle, elle devint un ordre religieux, mais d’un type
particulier encore inédit, le premier ordre religieux militaire de la Chrétienté, le Temple, donnant naissance à
la figure du moine chevalier8
. La naissance d’un ordre religieux et militaire marqua un tournant dans
l’histoire de la chrétienté : au-delà du fondement religieux de la guerre que légitimait la croisade, des moines acceptaient de tuer au nom de Dieu.
L’expérience religieuse initiée par les Templiers suscita des vocations, en particulier dans l’ordre de l’Hôpital
de Saint-Jean qui réforma ses statuts. Vers 1070, des marchands d’Amalfi, en pèlerinage à Jérusalem, avaient
fondé un hospice chrétien appelé le « Monastère des Latins », placé sous l’invocation de saint Jean l’Aumônier
et destiné à accueillir et à soigner les pèlerins. Il fut providentiel lors de la prise de Jérusalem le 15 juillet
1099. Il était dirigé par un certain Gérard, peut-être originaire d’Amalfi ou de Martigues. L’hospice prospéra
et Gérard l’érigea en ordre religieux. Saint Jean Baptiste remplaça vers 1110 saint Jean l’Aumônier comme
patron de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Le 15 février 1113, l’ordre reçut sa
consécration officielle : ses statuts venaient d’être approuvés par une bulle du pape Pascal II. Raymond du
Puy, qui succéda à Gérard après sa mort vers 1120, transforma au cours de son magistère la vocation
originelle de l’ordre et lui ajouta la défense des pèlerins et des Etats Latins d’Orient9
. La date exacte de cette
modification fondamentale est inconnue, mais dès 1136, l’ordre tient des châteaux en Terre Sainte et au plus
tard en 1160 il participe à des combats10
. La règle de Raymond du Puy est acceptée par le pape Eugène III en
1152.
Durant plus d’un siècle et demi, jusqu’à la fin du XIIIème siècle, les ordres militaires participèrent à la défense
des royaumes chrétiens d’Orient et tinrent de nombreuses forteresses qui ont marqué l’évolution de
l’architecture militaire : Chastel-Blanc, Château-Pèlerin, Tortose pour le Temple ; Acre, le Krak des
Chevaliers, Margat, Belvoir pour l’Hôpital, pour ne citer que les plus importantes et les plus célèbres de ces
fortifications11 (fig. 1). Mais les activités de ces ordres coûtaient cher et, pour les financer, ils bénéficièrent de
donations pieuses en abondance : ils reçurent d’immenses domaines en Occident qu’ils vouèrent à
l’agriculture afin d’en retirer un bénéfice suffisant pour entretenir leurs châteaux et leurs garnisons en Terre
Sainte. Les donations affluent dans tout l’Occident, d’abord de la part des familles chevaleresques investies
dans les croisades, reconnaissantes du rôle joué par les deux ordres en Orient et heureuses de trouver dans
une institution religieuse une expression de leurs aspirations spirituelles et sociales. En Occident, les
premiers domaines du Temple sont constitués dès les années 1120, autour de Payns notamment, puis se
multiplient dès 1130 en Champagne, en Bourgogne, en Provence, en Italie et dans la péninsule Ibérique…
Vers le milieu du XIIème siècle, les Templiers et les Hospitaliers s’établirent en Auvergne comme ailleurs grâce
aux dons des lignages nobles et, en moins de deux siècles, ils développèrent un patrimoine important qu’ils
intégrèrent au réseau de leurs possessions occidentales : les commanderies. Les Templiers puis les autres
ordres militaires à leur suite, ont mis en place un système administratif basé sur le versement d’une
contribution financière annuelle au chef de l’ordre par ce réseau de commanderies, dont la collecte était
assurée par un échelon régional intermédiaire, la province chez les Templiers, la Langue chez les Hospitaliers. La responsio, dispositif spécifique aux ordres militaires, leur a permis de contribuer
significativement à l’effort de croisade et de former, pendant deux siècles, la principale force militaire
chrétienne permanente en Orient, qui supposait une « complémentarité étroite entre le front et l’arrière »12
.
LA COMMANDERIE, « INSTITUTION DES ORDRES MILITAIRES » EN OCCIDENT, SUPPORT DE LA
DÉFENSE DES ETATS LATINS D’ORIENT ET SOUTIEN DES CROISADES
La « commanderie » est une structure propre aux ordres religieux militaires, qui naît dès le début des années
1130 dans l’ordre du Temple, même si l’Hôpital avait déjà des couvents en Occident dès 1101, à Saint-Gilles
et Messine13 : on la retrouve chez les Templiers, les Hospitaliers de Saint-Jean, les Hospitaliers de SaintAntoine, les Teutoniques. Il s’agit bien d’une institution qui regroupe un ensemble de bâtiments, de terres et
de droits qui forment une seigneurie ecclésiastique, selon la définition donnée par Philippe Josserand : « la
commanderie n’était ni un couvent, ni une grange, ni une simple maison : fréquemment investie d’un
contenu matériel, elle doit être avant tout appréhendée comme un mécanisme institutionnel dont la gestion
était déléguée à un frère, le commandeur, qui, dans des limites assez étroites, se chargeait d’en développer
les ressources pour le bénéfice de son ordre »
14
. Dans la région que nous étudions, les textes médiévaux en
latin n’utilisent jamais le terme de commanderie. Il n’existe que dans les textes en langue vernaculaire et en
français et constitue la traduction, certes non littérale, du mot latin preceptoria. Mais, là encore, ce terme n’est
pas le plus fréquemment employé. Il s’agit du terme de domus, maison, qui sert à qualifier presque toutes les
implantations du Temple et de l’Hôpital, excepté les églises qui, lorsqu’elles sont le seul élément en présence,
sont toujours distinctement identifiées (ecclesia ou ecclesia parochialis). La domus désigne bien ici, comme la
commanderie, à la fois « l’institution […], la communauté religieuse, la maison dans sa réalité matérielle
comme lieu de vie de cette communauté »
15
.
La preceptoria est dirigée par un preceptor, le commandeur, qui a charge du temporel de la maison qu’il dirige et de la communauté des frères qui vivent au sein de la commanderie
16
. Le terme vernaculaire est
notamment utilisé par les chartes du Temple du Puy, qui utilisent à plusieurs reprises le terme de
« comandaire de la maiso del Temple » ou de « comendador del Poi » vers 1190-121017
. Le commandeur a la tâche
de gérer un ensemble de terres, de bâtiments et d’hommes pour le compte de son ordre. Le concept recouvre
une notion de pouvoir, d’autorité, il s’étend donc bien au-delà des limites des bâtiments et couvre l’ensemble
des possessions dépendant du chef-lieu, y compris les dépendances. Ce pouvoir peut être délégué à un
procureur (procurator). Cependant, à partir du XIVème siècle, cette notion se limite parfois à un simple
membre de la commanderie, qui dans les textes peut posséder son propre preceptor, tandis qu’il dépend
d’une commanderie plus importante. Au sein de la communauté, la charge des âmes est assurée par un
chapelain, prêtre de son ordre. Loin de constituer un cadre de vie érémitique, la commanderie accueillait
toute une population qui gravitait autour des frères : les donats, des laïcs qui souhaitaient vivre en
confraternité et s’engageaient dans la vie communautaire sans prononcer de vœux, équivalents des convers
ou des oblats des autres ordres, mais aussi les familiers, c’est-à-dire la population qui travaillait pour les
frères en échange d’un salaire (servantes, forestiers, conducteurs d’attelages, métayers…).
Alors que le terme de bajula ou bailivia, la baillie, est employé de manière généralisée pour l’Hôpital en
Provence à partir du milieu du XIIIème siècle18
, il n’apparaît en Auvergne que tardivement19
. En 1373, l’enquête
diligentée par le pape Grégoire XI, qui dresse l’état des lieux de toutes les maisons de l’Hôpital des diocèses
de Clermont et de Saint-Flour, n’emploie ce terme que dans un seul cas, celui de la maison d’Olloix pour
laquelle sont juxtaposés les termes de domus, de preceptoria et de baiula, que l’on pressent équivalents à ceci
près qu’Olloix est rattachée directement au prieur d’Auvergne : frère Hugues de la Serre, pourtant simple
sergent de l’ordre, est qualifié de bailli et régent de la baillie d’Olloix au nom du prieur (baiulus et regens
dictam bayliviam doloys pro dicto priore arvernie) et l’on trouve ensuite successivement les mentions a dicta baylia
seu domo doloys et in dicta domo seu preceptoria doloys20
. La baillie n’apparaît pas ici comme une circonscription
supérieure à la maison mais son strict équivalent du point de vue administratif, si ce n’est que le prieur en est
le bénéficiaire. Ce cas préfigure-t-il les « bailliages capitulaires » institués au XVème siècle, qui donnaient à
leurs bénéficiaires le titre de « bailli par chapitre » et une voix délibérative au chapitre général de l’ordre21 ?
Nos sources sont trop imprécises pour attester ce fait.
Dès le milieu du XIIIème siècle, apparaissent des subdivisions du temporel en rangs hiérarchiques basés sur l’identification de l’institution comme corps : en 1239, l’épitaphe du prêtre Arnoul à Montbrison évoque la
tête (caput) et les membres (membra) de la maison dont il était commandeur22
. Si l’organisation en « chef » et
en « membres » apparaît de manière précoce, le temporel des ordres militaires n’est pas resté figé au cours
du Moyen Âge et il convient de ne pas trop se fier à la morphologie des commanderies telle qu’elle est livrée
par les sources et les inventaires d’Epoque moderne. Aux XIIème et XIIIème siècles, hormis le terme de domus,
on ne trouve principalement que la dénomination preceptoria ou grangia. Puis, au cours du Moyen Âge, la
fonction d’un même établissement a pu évoluer en même temps que ses bâtiments et ses habitants,
provoquant des recompositions des circonscriptions administratives. Les termes et les rangs des maisons ne
se fixent qu’avec lenteur et évoluent au fur et à mesure que les crises et les guerres réduisent le nombre des
résidents, mettent à terre les bâtiments et provoquent enfin l’abandon et la ruine de certaines anciennes
commanderies. Ainsi, une maison appelée preceptoria aux XIIème et XIIIème siècles peut se trouver qualifiée de
domus unita23 ou de membrum dans l’enquête pontificale de 1373 sur l’ordre de l’Hôpital, et le lien de sujétion
est bien marqué24
. Parfois, ces membres, comme celui de Chazelles pour la commanderie de La Tourette, sont
dans une telle ruine que les visiteurs de la Langue d’Auvergne au XVIIème siècle ont « jugé n’estre pas trop
necessaire d’y aller ». De nombreuses commanderies furent délaissées et leurs bâtiments ruinés à la suite de la
guerre de Cent Ans, puis des guerres de Religion. De ce fait, en 1615, certaines possessions qualifiées de
membres ne recouvrent plus que la réalité d’un village dont les habitants versent des cens et des rentes aux
Hospitaliers et d’une église dont la cure est à la collation de l’ordre. Le terme d’annexe désigne quant à lui le
plus souvent des bâtiments agricoles, comme une grange ou un moulin, parfois de simples terres ou une
église appartenant à l’ordre et dont les bénéfices lui reviennent. Un membre pouvait lui-même posséder un
ou plusieurs membres ou annexes25 : Ydes, qui était rattachée à Pontvieux, possédait elle-même deux
membres, Courtilles et Longevergne.
Les établissements fondés par les ordres militaires en Occident avaient des ampleurs très variables et leur
importance reflétait l’ampleur de la seigneurie à la tête de laquelle ils se trouvaient. En fonction de leur assise
foncière et financière, les maisons pouvaient posséder une ou plusieurs dépendances agricoles, nommées
granges (grangia). L’identification du rang hiérarchique d’une implantation est parfois malaisée : en effet, le
terme de domus, que l’on trouve fréquemment seul pour désigner une implantation, est mis en équivalence
dans les textes aussi bien avec preceptoria, qu’avec le terme grangia. Or, ces deux fonctions apparaissent bien
diversifiées au regard des textes médiévaux aussi bien que modernes : preceptoria est parfois mis en
équivalence avec fortalicium au XIVème siècle, ce qui n’a jamais lieu avec grangia, et insiste sur le caractère fortifié de la commanderie26 ; de même, on ne trouve jamais l’équivalence grangia seu preceptoria, mais
seulement domus seu grangia ou domus seu preceptoria. Parallèlement, l’équivalence grangia seu boria montre le
caractère également spécifique des granges, qui n’est pas le même que celui des commanderies. Le terme de
grange peut ici être rapproché de la notion de grange chez les Cisterciens : plus qu’un simple bâtiment à
stocker les récoltes de grains, elle recouvre le sens d’une exploitation agricole autonome27
. Cependant, si la
grange a une vocation spécifiquement agricole, la domus a également cette fonction. Seuls la multiplication
des mentions et le croisement des informations données par différents textes peuvent permettre d’identifier
le rang et la fonction d’une implantation.
À la lumière de cette terminologie, il convient de s’interroger sur le concept même de « commanderie » et sur
ses composantes. Quelles réalités institutionnelles et matérielles recouvre-t-il ? À l’instar d’un château et
d’une châtellenie, la commanderie est tout d’abord une seigneurie qui regroupe des droits et des devoirs sur
des terres et des hommes, une mosaïque de terres reçues au gré des donations inégalement réparties sur le
territoire, qu’il faut aménager et exploiter, un réseau de dépendances qu’il faut bâtir, administrer et
entretenir. Par métonymie, le mot désigne ensuite un bâtiment ou plutôt un groupe de bâtiments ; il est en
quelque sorte un équivalent d’abbaye ou de prieuré, avec cette différence qu’il appartient à un ordre
militaire. Aujourd’hui, le terme de « commanderie » est passé dans la toponymie et désigne aussi bien les
bâtiments dans lesquels vivaient les frères que la seigneurie au centre de laquelle se trouvaient ces bâtiments.
Dans les maisons d’Occident, les fonctions sont globalement les mêmes que celles d’un monastère
traditionnel. Bien entendu, les frères du Temple et de l’Hôpital sont avant tout des clercs : ils assistent à
l’office, vivent une existence religieuse collective régie par une règle et leurs établissements sont dotés d’une
chapelle qui, lorsqu’elle obtient des droits paroissiaux, contribue à l’encadrement spirituel de la population
environnante. En tant que seigneurs ecclésiastiques, ils possèdent des terres que leurs paysans cultivent et
perçoivent des redevances : ils ont donc des bâtiments agricoles (granges, au sens propre cette fois, étables,
greniers, cuvages, colombiers…)., des fours et des moulins banaux.
Mais ici se pose la question des spécificités des établissements des ordres militaires. De quelle manière leur
rôle primordial en Terre Sainte, puis en Méditerranée pour l’Hôpital, leur vocation à financer leurs activités
bien au-delà des royaumes chrétiens, ont-ils pu déterminer certains caractères topographiques, fonctionnels
ou architecturaux des commanderies ? L’origine aristocratique et la vocation militaire des chevaliers du
Temple et de l’Hôpital, de même qu’une certaine habitude des fortifications prise en Terre Sainte, ont-ils
favorisé le développement d’éléments de défense dans les commanderies ? On ne peut parler ici de châteaux,
car les établissements étudiés n’ont que peu de rapport en taille et en résistance avec les castra des seigneurs
laïques. L’architecture et la topographie de la commanderie est parfois ainsi résumée : un site clos de murs,
parfois entouré d’un fossé, regroupant des bâtiments qui s’organisent souvent autour d’une ou plusieurs
cours28
, ce qui la rapproche souvent du type de la maison forte. Le vocabulaire les rapproche également : le
terme domus est lui aussi fréquemment employé pour les maisons fortes, mais ce n’est pas le plus
discriminant du point de vue des fonctions ; bien plus précis est le terme de fortalicium que l’on trouve à
partir du XIVème siècle pour décrire de nombreuses maisons.
Dans l’étude qui va suivre, l’examen croisé des archives, des sites et des bâtiments visera, en premier lieu, à
établir le contexte de la formation des domaines des ordres militaires, leur structuration spatiale et leurs
mutations au cours des quatre derniers siècles du Moyen Âge (I
ère partie). En deuxième lieu, il visera à
caractériser la commanderie comme cadre de la vie conventuelle et religieuse des frères du Temple et de
l’Hôpital, mais aussi comme cadre de l’exercice du pouvoir seigneurial des ordres militaires (IIème partie). En
troisième lieu, l’organisation topographique des maisons sera examinée, ainsi que ses variations en fonction
de leur rang dans l’ordre et de la taille de la communauté qu’elles hébergeaient, de leur situation urbaine ou
rurale (IIIème partie). Enfin, l’examen des caractères architecturaux des bâtiments et de leur évolution au
cours des siècles permettra d’aborder les adaptations nécessitées par les circonstances historiques et sociales,
l’évolution des communautés et de leur mode de vie, l’expression des aspirations aristocratiques des
chevaliers, mais aussi de circonscrire les points communs et les différences entre les commanderies, les
établissements religieux plus conventionnels et les résidences nobiliaires (IVème partie).
LES CADRES DE L'ÉTUDE
L’historiographie des ordres religieux militaires est marquée depuis le XIXème siècle par un double
mouvement : l’étude des ordres en général d’une part, le plus souvent à l’échelle de la Méditerranée, de
l’Occident ou d’un ou plusieurs royaumes – à travers leur genèse, leur rôle dans les croisades, leurs
institutions29
– et l’étude de leurs possessions d’autre part, qui s’est toujours inscrite dans un cadre territorial
restreint, voire monographique30
. Encore très dispersées, d’ampleur inégale, fondées sur des méthodologies
très variées en fonction des sources disponibles et des problématiques interrogées, les études régionales ou
monographiques fondent pourtant la connaissance du patrimoine foncier et immobilier des ordres du
Temple et de l’Hôpital, de leur insertion dans la société, de leurs modes de gestion des hommes et des terres,
de la vie quotidienne des frères dans les maisons d’Occident. J’ai, pour ma part, abordé la question des
commanderies sous l’angle de leurs caractères matériels : la formation et l’évolution des commanderies et de
leur temporel tout d’abord, recomposé tout au long du Moyen Âge ; les structures spatiales et
institutionnelles, à travers l’insertion des maisons dans le tissu social, géographique et économique du
territoire ; la nature, les fonctions et l’organisation du lieu de vie de la communauté des frères, que les textes
d’Epoque moderne nomment la « maison de la commanderie » ; enfin, autant que faire se peut, l’architecture
des bâtiments et les mutations qu’elle connaît au fil des siècles, révélatrice tout à la fois des cadres de vie et
des mentalités.
Au commencement de cette recherche, le cadre géographique et administratif choisi était celui de
l’Auvergne, grosso modo dans son acception administrative du début du XXIème siècle qui trouvait des échos
historiques dans les anciennes provinces de l’Auvergne, du Bourbonnais et du Velay, mais aussi dans les
anciens cadres diocésains. Toutefois, la définition de ce cadre géographique de l’Auvergne « actuelle », pour
autant qu’elle ait encore une existence depuis la fusion des Régions votée en 2015 qui l’a conduite à devenir
partie intégrante du vaste territoire Auvergne-Rhône-Alpes, posait problème. Le plus logique eût été de
sélectionner une circonscription administrative propre aux ordres militaires. Les possessions du Temple
dans le royaume de France étaient en effet divisées en quatre « provinces » : la Provence, la France,
l’Auvergne et l’Aquitaine31
. La province d’Auvergne (ou parfois Limousin-Auvergne) apparaît vers 1180-
1190, mais ses contours sont flous, nous y reviendrons. Il en était de même pour l’Hôpital dont les
possessions étaient divisées en « langues » ou « nations » ; celles-ci étaient composées d’un ou plusieurs
« grands prieurés ». La Langue d’Auvergne s’est formée vers 1243 à l’initiative du prieur de Saint-Gilles
Bertrand de Barres, alors que l’ordre est déjà implanté de longue date, à partir d’un démembrement des
Langues de France et de Provence32
. Elle n’avait qu’un seul grand prieuré dont le siège a varié au cours du Moyen Âge (Montbrison, Montferrand, puis Bourganeuf) ; elle s’étendait bien au-delà de l’Auvergne, du
Limousin au Genevois en passant par l’Auvergne, le Velay, le Lyonnais et une partie du Berry et de la
Bourgogne33 (fig. 1). Cependant, le choix de ces circonscriptions, s’il avait le mérite de se placer dans des
ensembles délimités et organisés par les ordres militaires eux-mêmes, présentait l’inconvénient d’englober
une surface très vaste, trop pour permettre une étude détaillée de chaque commanderie dans le cadre qui
m’était imparti. Dès lors, quelles limites géographiques choisir ? L’Auvergne était au Moyen Âge une entité
encore floue et changeante, sans unité politique34
. Terre comtale, partiellement annexée à la couronne royale
par Philippe Auguste au XIIIème siècle, l’Auvergne fut donnée en apanage à Alphonse de Poitiers en 1241
avant de réintégrer le domaine royal en 1271. Dans la partie nord, la seigneurie puis le duché de Bourbon ont
été constitués à partir de démembrements des terres du comté d’Auvergne, du Nivernais, du Berry et du
Forez. Au sud-est, le Velay était un comté aux mains des évêques du Puy. Or, il fallait trouver pour cette
étude un cadre stable durant tout le Bas Moyen Âge. Le cadre diocésain répondait à ce critère : les limites des
diocèses de Clermont et du Puy restèrent pratiquement inchangées aux XIIème et XIIIème siècles et, en 1317, la
création du diocèse de Saint-Flour ne fit que scinder en deux parties l’ancien territoire du diocèse de
Clermont35
. Il semblait donc logique de mener cette étude dans le cadre des diocèses de Clermont et du Puy
dans un premier temps, puis des diocèses de Clermont, de Saint-Flour et du Puy après 1317, sans que la zone
d’étude ne varie pendant toute la période considérée (fig. 2).
Le cadre chronologique était quant à lui plus évident. Il me fallait en effet retracer l’histoire des ordres
militaires en Auvergne depuis leurs premières implantations, c’est-à-dire dans le courant du XIIème siècle,
jusqu’à la dissolution de l’ordre en 1312 pour le Temple, et jusqu’à la fin conventionnelle du Moyen Âge
pour l’Hôpital, c’est-à-dire la fin du XVème siècle ou le début du XVIème siècle. Au lieu d’interrompre notre
étude au début du XIVème siècle, au moment du procès des Templiers, notre choix d’embrasser tout le bas
Moyen Âge était dicté par la nature des vestiges matériels de commanderies : les édifices des XIIème et XIIIème
siècles qui nous sont parvenus sont finalement peu nombreux et tenter d’approcher l’architecture des deux
ordres en oblitérant le corpus des XIVème et XVème siècles nous paraissait vain et peu représentatif. Nous
avons arbitrairement choisi de constituer notre corpus de chartes jusqu’à la date de 1500. Cela n’a pas
empêché le recours à des documents plus récents, les archives du XVIème au XVIIIème siècle, mais aussi les documents révolutionnaires et les plans cadastraux napoléoniens, qui sont d’un intérêt certain pour l’étude
archéologique et architecturale des maisons des ordres militaires.
FAIRE FLÈCHE DE TOUT BOIS : LES SOURCES ET LES MÉTHODES D'UNE APPROCHE
PLURIDISCIPLINAIRE
Les trois diocèses médiévaux choisis étaient-ils le cadre le plus adapté ou le plus riche de promesses pour
interroger la notion de commanderie ? Sans doute n’étaient-ils ni meilleurs ni pires que les autres, mais
plutôt révélateurs d’une situation moyenne de la documentation historique et archéologique en France et
d’un état de la recherche, encore très partielle et lacunaire. Comme dans de nombreuses régions, le
patrimoine écrit et monumental laissé par les ordres militaires est très contrasté et rarement homogène : les
archives sont conservées de manière très variable, la plupart des commanderies et de leur dépendances
n’étant connues que par quelques actes dispersés. Du point de vue des traces matérielles, les guerres puis les
transformations et démolitions de sites après la Révolution ont laissé des vestiges nombreux mais souvent
réduits aux édifices religieux qui sont les mieux préservés. Les maisons urbaines ont, pour la plupart,
disparu en totalité ou en grande partie ou ont été très transformées à l’Epoque moderne, ne laissant que très
partiellement percevoir la morphologie de leur architecture primitive. La diversité de l’objet d’étude et les
lacunes des sources écrites comme des vestiges matériels contraignent de fait à l’utilisation de sources
multiples et à l’adoption d’une démarche pluridisciplinaire.
Pour l’Auvergne et le Velay, l’historiographie est modeste et reste en majorité le fait d’érudits qui ont retracé
le développé d’un ordre dans une zone géographique assez étroite ou la formation d’une commanderie. La
plupart du temps, ces études ne mettent à profit que les archives, sans forcément en fournir la transcription
ou l’édition, et basent leur description du territoire couvert par les commanderies sur les inventaires
d’Epoque moderne, ce qui ne reflète que partiellement la réalité médiévale. Enfin, les publications ne sont
pas homogènes sur tout le territoire. En matière d’édition de sources, les travaux sont restés partiels et sont
dus majoritairement aux érudits du XIXème siècle, à commencer par Augustin Chassaing qui s’est attaché à
éditer en 1882 et 1888 les actes des Templiers et des Hospitaliers en Velay, à travers deux chartriers
recomposés36
. L’édition des pièces du procès des Templiers dans le diocèse de Clermont a été proposée par
Roger Sève, dont le travail préliminaire a été mené à terme en 1986 par sa fille, Anne-Marie Chagny-Sève37 ;
cette édition offre un corpus remarquable de témoignages qui listent une grande partie des maisons du
Temple et des Templiers du diocèse de Clermont. Ensuite, les éditions sont plus dispersées, dans les
cartulaires des autres ordres et dans les chartriers des institutions civiles et religieuses. Première grande
synthèse, les commanderies des trois diocèses de Clermont, de Saint-Flour et du Puy ont été partiellement
étudiées par Léopold Niepce en 1883 dans son ouvrage consacré au grand prieuré d’Auvergne de l’ordre de
l’Hôpital38
, mais les localisations et les attributions qu’il propose sont parfois fautives. Quelques études
locales offrent une lecture du développement des ordres militaires : Hippolyte Bouffet a étudié plus en détail
les implantations du Temple et de l’Hôpital en Haute Auvergne39 ; Jean-Marie Froment a proposé des
synthèses sur les deux ordres en Bourbonnais40 ; Pierre Vial a analysé la genèse des maisons du Temple en
Velay, suivi plus récemment par Pierre-Eric Poble pour les maisons de l’Hôpital41
. Des monographies et des
articles ont également été consacrés à différentes commanderies42
, mais aucune étude ne reprend de manière
globale l’histoire des ordres militaires dans l’Auvergne actuelle. Ces éléments relativement nombreux mais
disparates appelaient donc une mise au point plus générale.
De nombreuses archives médiévales sont encore inexploitées. Un certain nombre de maisons des ordres
militaires ont conservé des cartulaires ou des chartriers importants, composés de plusieurs centaines de
chartes, à l’image de Saint-Gilles, de Douzens ou du Masdéu43. Ce n’est pas le cas des diocèses qui
constituaient l’ancienne Auvergne et le Velay où l’on peine à atteindre 600 chartes pour tout le territoire de
1132 à 1500. La guerre de Cent Ans puis les guerres de Religion ont fait disparaître un nombre important des
archives conservées dans les commanderies au Moyen Âge. Jusqu’au XVIIème siècle, les archives de l’ordre de
Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes, puis de Malte sont conservées dans les commanderies, dans une pièce
qu’on appelait le Trésor, où étaient surtout gardés les terriers permettant la perception des droits de la
commanderie. Les archives templières furent mêlées à celles de l’Hôpital dès la dévolution des biens du
Temple aux Hospitaliers en 1314. Ce n’est qu’au XVIIème siècle que l’ordre entreprend le classement de ses
archives44
. Un premier inventaire est réalisé en 1640, puis Christophle Néron, archiviste du grand prieuré
d’Auvergne, réalise un second inventaire en 1674. Le siège du grand prieuré d’Auvergne est transféré à Lyon
au XVIIème siècle en même temps que les archives de l’ordre. Au XVIIIème siècle, un nouvel inventaire est
dressé par Joseph Batteney de Bonvouloir, archiviste et généalogiste de l’ordre, en 1749. Cet inventaire,
divisé en autant de chapitres qu’il y avait de commanderies dans la Langue d’Auvergne, nous permet de
connaître l’état des archives avant les pertes occasionnées par la Révolution et la dispersion des documents
dans les différents fonds d’archives départementales et nationales. Après la Révolution, les archives du
grand prieuré d’Auvergne sont confisquées par l’Etat, de même que ses biens. De multiples déplacements
ont occasionné la perte de nombreux actes. Au XIXème siècle, les archives conservées jusque là à Lyon sont
réparties dans différents fonds : Archives Nationales, Bibliothèque Nationale, Archives Départementales de
l’Ain, de l’Allier, de l’Ardèche, de la Charente, du Cher, de la Corrèze, de la Creuse, de la Haute-Loire, de la
Haute-Saône, de la Haute-Vienne, de l’Indre, de l’Isère, du Jura, du Puy-de-Dôme, de la Saône-et-Loire, de la
Loire et du Cantal, départements que la Langue d’Auvergne recouvrait. Signalons d’autre part l’existence à
La Valette, sur l’île de Malte, d’un important fonds que nous n’avons pas consulté. Enfin, les Archives du
Vatican (Archivio Apostolico Vaticano) renferment elles aussi des documents concernant l’histoire des ordres
militaires, en particulier les procès-verbaux de l’enquête pontificale de 1373 sur l’ordre de l’Hôpital parmi
lesquels sont conservés ceux des diocèses de Clermont et de Saint-Flour, nous les évoquerons en détail.
Les sources écrites sont donc contrastées. Le nombre des actes conservés est relativement important, mais
varie considérablement d’une commanderie à l’autre45. Certaines possessions des ordres militaires ne sont
connues que par une simple mention ou un toponyme, tandis que quelques commanderies conservent
plusieurs dizaines d’actes et terriers médiévaux. Là encore, la situation n’est pas uniforme dans le temps :
contre plusieurs dizaines d’actes des XIIIème et XIVème siècles conservés pour la commanderie de La Racherie,
on ne trouve qu’une source mentionnant le Mayet-d’Ecole au XIIIème siècle et plusieurs terriers du début du
XVème siècle. Dans le diocèse du Puy, les actes signalant la présence des deux ordres apparaissent dès les
années 1130, puis se multiplient à partir de 1150, tandis que le diocèse de Clermont ne regroupe presque
aucun acte avant 1200. Très diverses, les archives regroupent aussi bien des actes de donation, des actes
concernant la gestion des terres, des censiers ou des terriers, des pièces de procès, des registres d’assises
judiciaires ou des inventaires de biens meubles et immeubles qui permettent d’appréhender divers aspects
de l’histoire des ordres militaires en Auvergne.
Parallèlement, l’analyse des manifestations matérielles des commanderies des ordres militaires ne peut se
passer d’investigations sur le terrain. La localisation précise des sites, la compréhension des bâtiments
conservés et la restitution de l’évolution architecturale des maisons nécessitent une connaissance fine des
sites et le recours aux méthodes de l’archéologie sous plusieurs formes : l’inventaire des vestiges matériels,
l’évaluation du potentiel archéologique des sites et, lorsque c’est possible, l’étude archéologique du bâti
conservé et/ou le recours à des fouilles au sol qui peuvent seules apporter des éléments concrets à la
connaissance sur les contextes d’implantation des maisons, les plans des sites, leur évolution, l’architecture
des bâtiments et leur datation. Nous avons donc établi une série de monographies des maisons du diocèse
de Clermont et de leurs dépendances afin de constituer les fondements de notre réflexion46
. L’analyse
monumentale des bâtiments complète et précise largement la vision que donnent les textes. Nombre
d’aménagements encore en place offrent des renseignements bien souvent occultés par les archives.
L’observation du bâti, qui nécessite de dépasser le simple constat d’état superficiel et de s’immerger dans
l’analyse archéologique des élévations appuyée sur des relevés détaillés, fournit un apport essentiel à la
connaissance des édifices : périodes de reconstruction, restitution des accès, des circulations et de la
distribution de l’espace notamment. De plus, ces données remettent fréquemment en cause les datations
permises par les textes et poussent à reconsidérer les dates d’implantation des commanderies. Le potentiel
archéologique dans ce domaine est considérable, mais encore insuffisamment exploité. Les établissements
des ordres militaires ont été, sauf exceptions, considérablement remodelés, détruits et reconstruits au cours
de leur histoire, et en particulier aux XIVème et XVIème siècles, puis aux XIXème et XXème siècles ; une ruine
complète a parfois frappé ces bâtiments, les faisant entièrement disparaître du paysage. L’état visible
aujourd’hui n’offre souvent qu’une pâle image de la réalité médiévale. Si les maisons urbaines ont presque
partout subi les affres de l’urbanisation, sans protection ni conscience de leur intérêt patrimonial, de
nombreux établissements situés en zone rurale sont mieux conservés, ce qui ouvre des perspectives de
recherches archéologiques intéressantes portant sur l’évolution de la morphologie des commanderies. Ce
type de recherche, qui nécessite des moyens lourds , n’a pu être mené que partiellement sur une poignée de
sites, mais constitue une piste riche de promesses.
De manière générale, notre méthode a été de confronter, à chaque fois que c’était possible, les données des
sources écrites avec le terrain. Les actes de la pratique permettent d’approcher de manière progressive la
formation des domaines, la constitution des commanderies et la gestion du temporel seigneurial, les
hommes et les rares femmes qui vivaient dans les maisons. Toutefois, ils restent la plupart du temps muets
sur les bâtiments, sauf lorsqu’un acte est passé « devant la chapelle », « dans la salle » ou « sous le portique »
d’une église. Les accords de justice, les lettres patentes renseignent parfois sur des constructions neuves,
mais aucun prix-fait ou compte de construction ne nous est malheureusement parvenu. Il faut bien souvent
attendre le XVIème et surtout le XVIIème siècle pour connaître en détail la composition des maisons, à travers
les procès-verbaux de visite ; hormis quelques inventaires datés de 1521, nous avons exploré pour l’essentiel
le premier état des lieux global des maisons de la Langue d’Auvergne, dressé entre 1615 et 1617. En
complément, nous avons parfois eu recours à des documents postérieurs, plus détaillés ou mieux conservés,
allant jusqu’à des visites dressées en 1789 à la veille de la Révolution, voire à des inventaires
révolutionnaires réalisés pour la vente des Biens nationaux, qui fournissent d’utiles descriptions de sites.
Toutefois, ces documents ne livrent qu’une image mentale des bâtiments, sans en fournir la matérialité d’un
dessin ou d’un plan. Il faut attendre le milieu du XVème siècle avec deux représentations de maisons de l’Hôpital dans l’Armorial de Guillaume Revel (Olloix et Chaynat)47
, puis 1607 pour voir apparaître la
première représentation d’une maison du diocèse du Puy, Saint-Jean-la-Chevalerie, dessinée par Etienne
Martelange en même temps que la ville48, et enfin le milieu du XVIIIème siècle pour découvrir les premiers
plans d’arpentage avec, au milieu des domaines agricoles, quelques-unes des commanderies et des membres
qui étaient encore conservées ou avaient été reconstruites. Pour obtenir un premier ensemble de plans,
largement incomplet, il faut attendre le cadastre communal levé à l’initiative de Napoléon Ier : il offre pour
une période située entre 1810 et 1840 un ensemble de documents qui livre un premier état planimétrique
fiable, mais les bâtiments sont déjà largement transformés, beaucoup ont disparu. Rachetés par des
propriétaires privés après la Révolution, nombre de démolitions ont eu lieu pour abattre ces signes
manifestes de l’ancien ordre féodal, les sites ayant ensuite servi de carrières de pierres ou ayant été
reconvertis en exploitations agricoles. La synthèse de ces différentes données offre, malgré les difficultés de
l’exercice, une vision globale de l’architecture d’un certain nombre de commanderies et de leurs dépendances
dont on peut suivre l’évolution depuis le XVIIème siècle au moins et parfois la faire remonter à la fin du
Moyen Âge en la comparant aux vestiges sur le terrain. Pour aller au-delà des limites de cette
documentation, l’analyse archéologique des sites a toujours été mobilisée, sous différentes formes, toujours
en collaboration et sur autorisation des Services régionaux d’Archéologie. La prospection sur le terrain a été
systématique sur l’ensemble du territoire étudié ; elle a permis de localiser les sites, de les cartographier,
d’examiner le contexte d’implantation, de dresser l’état des lieux à travers une description plus ou moins
développée et une couverture photographique, souvent assortie de la réalisation d’un plan sommaire établi à
partir des plans cadastraux napoléoniens. Lorsque des bâtiments étaient conservés et qu’ils étaient
accessibles, nous avons aussi souvent que possible dressé des plans de masse des chapelles ou des logis,
complétant utilement les cadastres qui restent toujours à l’état de grandes parcelles bâties ou non, sans
fournir de détail sur l’architecture. Dans certains cas, plus rares, l’étude a pu être approfondie par une
analyse de bâti reposant sur des relevés plus détaillés, parfois « pierre à pierre », ou par des fouilles au sol.
Nous reviendrons plus en détail sur ces différentes opérations.
Les résultats de nos recherches sont présentés en trois volumes. Le premier volume livre le corps de la
synthèse. Le deuxième volume regroupe, sous la forme d’un catalogue autonome, les monographies des
différents sites que nous avons inventoriés, de manière à proposer au lecteur un état des connaissances
acquises sur chacun des établissements des ordres militaires des trois diocèses étudiés. Le troisième volume
présente trois ensembles documentaires : l’inventaire chronologique des sources d’archives concernant les
commanderies étudiées, sous la forme d’un regeste organisé par ordre, le Temple d’une part et l’Hôpital
d’autre part ; une sélection d’actes et de procès-verbaux de visite utilisés pour notre étude, pour la plupart
inédits ; deux annexes relatives à l’étude archéologique des sites, l’étude céramologique du mobilier issu des fouilles de la commanderie de Carlat (Cantal), réalisée par Stéphane Guyot, d’une part, et l’étude
anthropologique des sépultures fouillées au Mayet-d’Ecole (Allier) par Karen Jeantelet, d’autre part.
Link Vol 1
Press Here , 674 Pages
0 التعليقات :
إرسال تعليق