الثلاثاء، 12 سبتمبر 2023

Download PDF | Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers de Saint-Jean en Auvergne et en Velay (XIIème – XVème siècles) : structures spatiales, cadres de vie et architectures

 Download PDF | Les commanderies des Templiers et des Hospitaliers de Saint-Jean en Auvergne et en Velay (XIIème – XVème siècles) : structures spatiales, cadres de vie et architectures

Laurent d'Agostino  ,  Vol  (1, 2, 3)


Doctorat

 

RÉSUMÉ


 En janvier 1129, le concile de Troyes a consacré la naissance du premier ordre religieux militaire de la Chrétienté, l’ordre du Temple, voué à la défense des Etats Latins d’Orient. À sa suite, l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean, d’abord tourné vers le soin et l’accueil des pèlerins et des malades à Jérusalem, a opéré cette mutation fondamentale et s’est militarisé dans les années 1130.





















 Pour soutenir le front de la guerre permanente entre les Etats latins et les Sultanats ayyoubides puis mamelouks et financer leurs multiples châteaux et leurs garnisons, les Templiers et les Hospitaliers ont développé une institution originale, la commanderie.



















 Destinées à organiser et à faire fructifier les possessions réunies en Occident, ces seigneuries ecclésiastiques furent fondées principalement à partir des donations des lignages seigneuriaux qui se reconnaissaient dans l’action concrète de ces ordres chevaleresques et y trouvaient une réponse à leurs aspirations spirituelles.







































 Elles regroupaient des terres, des droits, des bâtiments et des infrastructures économiques, au sein desquelles vivait et travaillait une population de frères, mais aussi de convers, les donats, de salariés et de tenanciers. Organisées en circonscriptions territoriales régionales, les Provinces pour le Temple et les Langues pour l’Hôpital, ces commanderies regroupaient un réseau de dépendances, les membres, autour d’un chef-lieu. À leur tête, chaque commandeur jouissait d’une certaine autonomie par rapport au siège de son ordre mais devait, chaque année, assurer la rentabilité de son domaine et reverser au couvent une part de ses revenus, la responsio. 


























Au cœur du Massif central, dans les anciens diocèses de Clermont, de Saint-Flour et du Puy, les ordres religieux militaires étaient présents dès les années 1130 et ont développé leurs premières maisons avant le milieu du XIIème siècle. Taillées dans les marges de territoires déjà très largement occupés par d’autres ordres religieux plus anciens, les commanderies s’organisaient en réseaux structurés autour des villes et des axes routiers, leur permettant un accès aisé aux infrastructures économiques. Les maisons plus rurales étaient réparties sur tout le territoire et les granges, petites exploitations agricoles autonomes, géraient une partie du domaine et permettaient de diversifier l’activité et les sources de revenus, par la céréaliculture et la viticulture en Limagne et dans le val d’Allier, par l’élevage bovin et ovin sur les hauts plateaux du Velay, de la Margeride et des Combrailles et dans les estives des massifs plus élevés du Sancy et du Cantal. 


























Au-delà d’un outil de gestion économique, la commanderie se définit aussi sous l’angle de ses manifestations matérielles, dont une partie seulement nous est parvenue ; au centre de chaque domaine, les Templiers et les Hospitaliers ont construit de nombreux bâtiments religieux, résidentiels et agricoles. Le croisement des sources écrites et des données archéologiques livre une image dynamique de ce que les textes nomment la « maison de la commanderie », associant des édifices conventuels dans lesquels résidaient les frères, des chapelles destinées à la communauté religieuse et, parfois, des églises paroissiales qu’ils administraient, participant à l’encadrement spirituel des populations, enfin des espaces agricoles et utilitaires. Au fil du Moyen Âge, l’organisation et l’architecture de ces maisons a connu plusieurs mutations majeures, marquées tout d’abord par le procès du Temple et la remise de ses biens aux Hospitaliers, qui entraînèrent de profondes modifications dans l’organisation des domaines. 























Puis les crises du XIVème siècle et enfin les guerres de Religion ont provoqué, dans un double mouvement, la destruction et la ruine de nombreux édifices et, parallèlement, la fortification de ceux qui subsistaient. M ots-clés : Moyen Âge, archéologie, architecture, ordres religieux militaires, Templiers, Hospitaliers de Saint-Jean, commanderie






























ABSTRACT

 In January 1129, the Council of Troyes consecrated the birth of the first military religious order of Christianity, the Order of the Temple, dedicated to the defense of the Crusader States. In its wake, the order of the Knight Hospitallers of Saint John, initially providing care to pilgrims and sick people in Jerusalem, made this fundamental change and became militarized in the 1130s. To support the front of the permanent war between the Crusader States and the Ayyubid and then Mamluk Sultanates and to finance their multiple castles and their garrisons, the Templars and the Hospitallers developed an original institution, the commandery. 
























These ecclesiastical seigneuries were intended to organize and make the processions gathered in the West fruitful. They were founded mainly from donations by seigniorial lineages who recognized themselves in the concrete action of these chivalric orders and found in them an answer to their spiritual aspirations. They brought together agricultural lands, rights, buildings and economic infrastructures, within which lived and worked a population of brothers, but also lay brothers, donats, employees and tenants. Organized into regional territorial districts, the Provinces for the Temple and the Langues for the Hospital, these commanderies brought together a network of dependencies, the members, around a center. At their head, each commander enjoyed a certain autonomy in relation to the headquarters of his order. 











































However, each year, he had to ensure the profitability of his domain and donate to the convent a part of his income, the responsio. In the heart of the Massif Central, in the ancient dioceses of Clermont, Saint-Flour and Le Puy, military religious orders were present from the 1130s and developed their first houses before the middle of the 12th century. Carved into the margins of territories already largely occupied by other older religious orders, the commanderies were organized in networks structured around towns and roads, allowing them easy access to economic infrastructure. The more rural houses were spread over the entire territory and the barns, small autonomous agricultural holdings, managed part of the domain and made it possible to diversify the activity and the sources of income, through cereal growing and viticulture in Limagne and in the valley of Allier, by raising cattle and sheep on the highlands of Velay, Margeride and Combrailles and in the summer pastures of the higher massifs of Sancy and Cantal. 













































Beyond being a tool of economic management, the commandery is also defined from the point of view of its material manifestations, only a part of which has come down to us. At the center of each domain, the Templars and the Hospitallers built many religious, residential and agricultural buildings. The cross-checking of written sources and archaeological data provides a dynamic image of what the texts call the "commandery's house", combining conventual buildings in which the brothers resided, chapels intended for the religious community and, sometimes, churches parishes that they administered, taking part in the spiritual guidance of the populations, and finally agricultural and utilitarian spaces. Throughout the Middle Ages, the organization and architecture of these houses underwent several major changes, marked first of all by the trial of the Temple and the handing over of its property to the Hospitallers, which led to profound changes in the organization of the domains. Then the crises of the 14th century and finally the Wars of Religion caused, in a double movement, the destruction and ruin of many buildings and, at the same time, the fortification of those which remained. K eywords : Middle Ages, achaeology, architecture, Military Ordrers, Templars, Hospitallers of Saint-John, commandery















AVANT-PROPOS… ET REMERCIEMENTS





 À mes parents, pour toutes les chances qu’ils m’ont données. À Eva, à Lino, pour la vie que nous partageons. Ne cachons rien : cette recherche est une vieille affaire, exhumée en 2016 grâce à Laurent Schneider et à la pugnacité amicale de Jean-Michel Poisson. J’ai rencontré les ordres militaires en 1997, alors que je cherchais un sujet pour mon mémoire de maîtrise à l’université de Clermont-Ferrand. Le professeur Jean-Luc Fray m’a proposé plusieurs sujets qu’il avait en réserve, parmi lesquels une étude des implantations des Templiers et des Hospitaliers de Saint-Jean dans le diocèse de Clermont. J’ignorais tout ou presque de ces ordres, à part ce que tout le monde en sait, qu’ils évoquent les croisades, la Méditerranée, l’Orient et quelque chose d’un peu sulfureux.  



Après deux années de classes préparatoires littéraires et une année de licence à l’université, je ne connaissais presque rien du Moyen Âge et de la recherche en Histoire médiévale et je découvrais à peine l’archéologie sur le chantier de la chartreuse du Port-Sainte-Marie dans le Puy-de-Dôme, en compagnie de Pascale Chevalier, Jean-Luc Mordefroid et Stéphane Guyot notamment. L’un des souvenirs les plus marquants de cette période a été pour moi une matinée passée avec Jean-Luc Fray aux Archives départementales du Puy-de-Dôme, qui tentait de m’inculquer les rudiments de la paléographie latine, alors que je tenais pour la première fois entre les mains un parchemin du XIII ème siècle… j’avais un bagage de latiniste, certes, mais je butais sur toutes les lettres. Je découvrais à la fois un métier, celui de chercheur, une région que je connaissais alors bien mal même si j’y avais vécu toute ma jeunesse, l’Auvergne, un patrimoine, les commanderies. Passée cette première étape, j’en tirais à la fois un goût prononcé pour ce travail d’enquête, minutieux et patient, mais aussi une frustration, celle de travailler souvent seul et de ne pas assez parcourir le terrain de mes recherches, de voir et de comprendre où et comment ces gens avaient vécu. Je faisais toujours de l’archéologie, que je continuais d’apprendre au fil des chantiers bénévoles. Au tournant des années 2000, il y avait à Lyon, au CIHAM (UMR 5648), un axe de recherche intitulé Mil.Ord (Military Orders), coordonné par Nicole Bériou et Jacques Chiffoleau, et plusieurs étudiants qui travaillaient sur le sujet, Eric Rouger sur le Lyonnais et le Dauphiné et Damien Carraz sur la Provence. J’ai donc proposé un sujet de Diplôme d’Etudes Approfondies, toujours sur les commanderies d’Auvergne, mais cette fois en ouvrant la perspective sur une approche à la fois historique et franchement archéologique : il ne s’agissait plus seulement de recenser les implantations, les possessions, d’établir la chronologie, mais d’examiner les bâtiments ou du moins ce qu’il en restait. J’ai alors rencontré Jean-Michel Poisson et le regretté Pierre Guichard (†), ils ont accepté et convenu de m’encadrer ensemble pour cette recherche et nous avons alors étendu l’espace de travail au Velay. Après une année de Service militaire passée dans le civil à l’université de Clermont, j’enchaînais six années de travail presque ininterrompu pour le DEA et le doctorat, de 2000 à 2005. À cheval sur les deux villes et les deux universités, je bénéficiais des enseignements et des conseils avisés de Bruno Phalip et Annie Regond à Clermont. Parallèlement, à Lyon, j’eus la chance, rare dans une vie d’étudiant, de participer sous la direction de Nicole Bériou et de Philippe Josserand à l’élaboration du Dictionnaire européen des ordres religieux militaires au Moyen Âge, paru en 2009, une œuvre collective colossale de plus 5 ans et d’un millier de pages réunissant 240 auteurs de toutes nationalités. Pendant ces années de formation, il a fallu tout apprendre. La recherche, en bibliothèques et en archives, et la paléographie d’abord, en fréquentant une documentation écrite et iconographique échelonnée sur près de huit siècles, du XIIe au XIXe siècle, répartie entre cinq fonds départementaux (Allier, Puy-de-Dôme, Cantal, Haute-Loire, Rhône), les Archives nationales et la Bibliothèque nationale, les Archives du Vatican. J’ai fait des rencontres et bénéficié de conseils et d’aides précieuses, Jean-Eric Jung puis Edouard Bouyé notamment, anciens directeurs des Archives du Cantal, puis Lucien Gerbeau et Georges Dusserre (Société de l’Histoire et du Patrimoine de l’Ordre de Malte). Mais il a aussi fallu apprendre le métier d’archéologue, c’est un travail moins solitaire mais d’une complexité certaine, à la fois technique et administrative. Je continuais le terrain au contact de Jean-Michel Poisson à Albon qui, au-delà de la fouille a su m’initier à la topographie et me prêter le matériel du CIHAM pour mes premiers chantiers, mais aussi de Pascale Chevalier, Sophie Liégard, Arlette Maquet et Alain Fourvel à Souvigny, de Sébastien Bully à Saint-Claude, et plus occasionnellement de Christian Sapin, de Fabrice Henrion et de l’équipe du Centre d’Etudes Médiévales d’Auxerre. Annie et JeanPhilippe Usse (Fédération des archéologues du Cantal) ont toujours été amicaux à mon égard et de bons conseils. Quelles soient au long cours ou plus ponctuelles, toutes ces rencontres m’ont ouvert la voie de la recherche de terrain. Il a fallu convaincre aussi les maires, les associations, les propriétaires privés de ces commanderies, qui m’ont ouvert leurs portes pour une heure le temps d’une visite ou parfois pour plusieurs mois le temps d’une étude de bâti ou de sondages dans leur jardin ! M. et Mme Conti au Mayet-d’Ecole et M. Saget, conseiller municipal, M. et Mme Chassany à Chauliac, M. et Mme Bon à Yssac-la-Tourette, M. et Mme Cormier à Saint-Cirgues-de-Malbert ; à Carlat, l’ancien maire M. Bernard Caranobe, SAS le prince Rainier de Monaco (†) et SAS le prince Albert de Monaco, propriétaires du rocher, ainsi que leurs administrateurs des biens. Toute ma gratitude va aussi aux élus et aux agents des collectivités qui ont soutenu mes recherches : dans l’Allier, M. Gérard Dériot, ancien président du Département, M. Jean-Jacques Rozier, conseiller départemental, Mme Nathalie Cambray. Il a fallu apprendre à gérer un chantier de fouilles : non seulement faut-il obtenir l’autorisation des propriétaires, mais aussi de l’État. Le personnel du Service Régional d’Archéologie d’Auvergne (aujourd’hui Auvergne-Rhône-Alpes) a toujours eu à mon égard une bienveillance dont je leur suis redevable. Bernadette Sauget-Fizellier, toujours disponible et chaleureuse, d’abord, puis Philippe Vergain, alors Conservateur régional, ont su me guider, me conseiller, redresser mes erreurs stratégiques. Frédérik Letterlé, ensuite, a soutenu mes dossiers avec bienveillance. Hélène Dartevelle et René Liabeuf ont été des conseils attentifs et amicaux, ainsi que tous ceux qui m’ont accueilli et conseillé au centre de documentation et à la carte archéologique, Isabelle Magy, Isabelle Védrine, Elisabeth Lacoste, Yannick Rialland, Yves Duterne (†). J’ai une pensée aussi pour ceux qui, dans l’ombre, contrôlent et valident les projets scientifiques, en particulier Pierre-Yves Laffont, qui a examiné et soutenu mes premières demandes d’autorisation et mes premiers rapports. Le personnel de la Conservation Régionale des Monuments Historiques et des Unités Départementales d’Architecture et du Patrimoine du Puy-de-Dôme et du Cantal m’a aussi toujours réservé un accueil favorable. Sur le plan financier, il a fallu devenir gestionnaire, solliciter des budgets et trouver des échos auprès du Ministère de la Culture bien sûr, mais aussi des Départements de l’Allier, du Cantal et de la Haute-Loire, rendre des comptes. Au-delà des multiples visites et des campagnes de prospection à la recherche des sites, les chantiers de fouilles ont été particulièrement formateurs, parfois douloureux aussi tant la charge de travail était immense. Avec le recul, il était certainement inconscient de lancer des chantiers de fouilles sur plusieurs sites dans le cadre d’une thèse. Sans cela, sans doute aurait-elle été achevée bien avant, mais son contenu aurait été bien différent ! J’aurai une pensée pour tous ceux et toutes celles qui ont été des compagnons d’un chantier ou de toutes ces années, certain(e)s sont resté(e)s des ami(e)s, d’autres sont devenu(e)s des professionnel(le)s reconnu(e)s. J’espère qu’ils et elles auront conservé de ces expériences communes un souvenir enrichissant. En tout cas, ce n’est pas la moindre de mes fiertés que d’avoir partagé ces moments avec eux et d’avoir ainsi appris mon métier. J’ai une reconnaissance sans borne bien sûr pour Evelyne Chauvin-Desfleurs, complice quotidienne au travail comme dans la vie, ainsi que pour Karen Jeantelet, qui a pris en charge les études anthropologiques de mes chantiers, et pour Stéphane Guyot, qui a non seulement bien voulu m’éclairer sur le mobilier céramique, mais a aussi pris le temps de m’enseigner bien des gestes techniques dont j’ignorais tout, à commencer par le dessin archéologique manuel et informatique. Je remercierai tout particulièrement Vincent Buccio, Rémi Carme, Matthias Delmotte, Marieke Fernandez de Heredia, Laurent Fiocchi, Geneviève Gascuel, Julien Guillon, Sophie Latouille, François Leray, Damien Martinez, Hervé Miraton, Claire Mounier, Mylène Navetat, Nadia Saint-Luc, Rodolphe Valeix, Elsa Vidil, Julie Conan, David Morel, Marie Charbonnel, pour les moments partagés durant ces années et leur aide permanente ou ponctuelle. Toute ma gratitude va également aux pilotes des aéroclubs de Brioude, de Saint-Flour/Coltines et du Puy/Loudes qui m’ont permis de mener des campagnes de photographies aériennes passionnantes en leur compagnie, en même temps que de vivre de magnifiques expériences des paysages. Enfin, mes chaleureux remerciements vont à BernardNoël Chagny, pionnier de la photographie aérienne basse altitude et bricoleur génial, et à son épouse AnneMarie Chagny-Sève, pour leur contribution à la documentation de Carlat. En 2005, alors que je menais encore des chantiers à Carlat, cette expérience acquise sur le terrain m’a ouvert les portes de l’archéologie préventive. C’est un monde différent. C’est une chose de mener des fouilles de recherche fondamentale où le site ne va pas disparaître après notre départ, c’en est une autre d’avoir à gérer des engins de terrassement de 20 tonnes, des équipes de 20 personnes d’horizons différents et les délais des aménageurs qui n’attendent que votre départ. Les opportunités, les contrats, les grands déplacements du Toulousain à la Bourgogne et de l’Aquitaine aux Alpes, des problématiques nouvelles aussi qu’il a fallu appréhender, ce grand bain m’a noyé et la thèse avec. Pourtant, elle était toujours là, à la fois chimère et espoir de voir l’achèvement de tant d’années de travail. Il s’est passé 10 ans sans que rien ou presque ne progresse, rouvrir les dossiers de temps en temps pour un article, une conférence, un colloque, les refermer presque aussitôt. C’était sans compter sur ceux qui, amicalement, demandaient des nouvelles avec gentillesse mais insistance, Jean-Michel Poisson et Anne Baud en tête. Deux propositions ont fait ressurgir le Temple et l’Hôpital dans mes recherches, qui avaient divergé sur d’autres terrains. 




































Bruno Phalip, Anne Baud et JeanMichel Poisson commençaient en 2014 une grande mission de recherche sur le château de Belvoir en Israël. Un château de l’Hôpital en Galilée ? Loin des commanderies de Haute-Auvergne, où il faisait parfois 6°C le matin au mois de juillet, Belvoir avait le goût de la Terre sainte, du soleil brûlant et de la poussière âcre, impossible de refuser une telle proposition. Et, fin 2015, Emmanuelle Régagnon, ingénieure au CNRS et attachée à une antenne du laboratoire Archéorient installée dans une ancienne commanderie du Temple en Ardèche, Jalès, que j’avais rencontrée cinq ans plus tôt lors d’une formation, me contacte par téléphone : avec Olivier Barge, elle cherche un spécialiste des ordres militaires qui voudrait bien faire une étude de leurs locaux. Qu’à cela ne tienne ! Nous avons, ensemble et sur un coup de tête, monté une équipe pluridisciplinaire et mené pendant quatre ans d’une amitié naissante l’étude de ce site exceptionnel. Il fallait finir ce qui était commencé : Laurent Schneider, nouvellement attaché à l’EHESS et au CIHAM à Lyon, a bien voulu soutenir ce projet à partir de 2016 pour le mener à son terme. Je l’en remercie, il a su me remotiver, proposer des solutions concrètes et rendre possible l’achèvement de cette recherche. Jean-Michel Poisson, présent depuis les origines, m’a fait l’amitié de relire et d’amender ce travail. 
















Jacques Chiffoleau, Jean-Louis Gaulin et Nicolas Carrier m’ont eux aussi fait profiter de leurs conseils bienveillants. L’arrivée de mon fils, entre temps, a pimenté encore un peu la fin de la partie. C’était une œuvre d’étudiant, une œuvre de jeunesse et d’apprentissage ; arrivé au milieu de ma vie professionnelle, il a fallu en réécrire bien des chapitres. Terminée sur le tard, elle n’est pas sans défaut, ce qu’elle avait de neuf à l’époque de mes débuts, il y a plus de vingt ans, est un peu émoussé aujourd’hui car la recherche a progressé. J’espère toutefois qu’elle livrera une image renouvelée d’un patrimoine encore bien méconnu. La recherche archéologique sur le terrain ne peut être menée en solitaire, sans la contribution des amis, des collègues, des étudiants, des bénévoles de tous horizons qui participent aux chantiers. Qu’ils trouvent ici ma sincère gratitude : - au Mayet-d’Ecole (2002-2003) : Jon Bernt, Camille Blancher, Vincent Buccio, Amélie Chanet, Marie Charbonnel, Evelyne Chauvin-Desfleurs, Mathias Delmotte, Alice Dionnet, Eliane Fairon, Sophie Latouille, Mariecke Fernandez de Heredia, Julien Guillon, Karen Jeantelet, Sophie Martin, Audrey Martin, Hervé Miraton, David Morel, Mylène Navetat, Sophie Nicolas, Veronika Nova, Valérianne Pace, Veerle Pauwels, Julien Plantin, Isabelle Pignot, Emilie Roches, Nadia Saint-Luc, Maya von Moos, Seraina von Moos, David Zmyslowski. - à Saint-Cirgues-de-Malbert (l’Hôpital-Chaufranche, 2004) : Elisabeth Blanc, Evelyne Chauvin-Desfleurs, Marieke Fernandez de Heredia, Julien Guillon, Karen Jeantelet, Mickaël Journet, Sophie Latouille, David Morel, Claire Mounier, Mylène Navetat, Sophie Nicolas, Julien Plantin, Nadia Saint-Luc, Rodolphe Valeix. - à Carlat (2004-2006) : Sébastien Bauvet, Rémi Carme, Sébastien Champeyrol, Marie Charbonnel, Evelyne Chauvin-Desfleurs, Hervé Cochard, Julie Conan, Laurent Fiocchi, Sophie Latouille, Geneviève Gascuel, Julien Guillon, Sandra Marcadet, Émilie Marchadier, Damien Martinez, Hervé Miraton, David Morel, Claire Mounier, Laurence Murat, Mylène Navetat, Julien Plantin, Xavier Rivière, Nadia Saint-Luc, Gaëlle Tendraien, Rodolphe Valeix, Elsa Vidil, A. Yonnet
























aménageurs qui n’attendent que votre départ. Les opportunités, les contrats, les grands déplacements du Toulousain à la Bourgogne et de l’Aquitaine aux Alpes, des problématiques nouvelles aussi qu’il a fallu appréhender, ce grand bain m’a noyé et la thèse avec. Pourtant, elle était toujours là, à la fois chimère et espoir de voir l’achèvement de tant d’années de travail. Il s’est passé 10 ans sans que rien ou presque ne progresse, rouvrir les dossiers de temps en temps pour un article, une conférence, un colloque, les refermer presque aussitôt. C’était sans compter sur ceux qui, amicalement, demandaient des nouvelles avec gentillesse mais insistance, Jean-Michel Poisson et Anne Baud en tête. Deux propositions ont fait ressurgir le Temple et l’Hôpital dans mes recherches, qui avaient divergé sur d’autres terrains. Bruno Phalip, Anne Baud et JeanMichel Poisson commençaient en 2014 une grande mission de recherche sur le château de Belvoir en Israël. Un château de l’Hôpital en Galilée ? Loin des commanderies de Haute-Auvergne, où il faisait parfois 6°C le matin au mois de juillet, Belvoir avait le goût de la Terre sainte, du soleil brûlant et de la poussière âcre, impossible de refuser une telle proposition. Et, fin 2015, Emmanuelle Régagnon, ingénieure au CNRS et attachée à une antenne du laboratoire Archéorient installée dans une ancienne commanderie du Temple en Ardèche, Jalès, que j’avais rencontrée cinq ans plus tôt lors d’une formation, me contacte par téléphone : avec Olivier Barge, elle cherche un spécialiste des ordres militaires qui voudrait bien faire une étude de leurs locaux. Qu’à cela ne tienne ! Nous avons, ensemble et sur un coup de tête, monté une équipe pluridisciplinaire et mené pendant quatre ans d’une amitié naissante l’étude de ce site exceptionnel. Il fallait finir ce qui était commencé : Laurent Schneider, nouvellement attaché à l’EHESS et au CIHAM à Lyon, a bien voulu soutenir ce projet à partir de 2016 pour le mener à son terme. Je l’en remercie, il a su me remotiver, proposer des solutions concrètes et rendre possible l’achèvement de cette recherche. Jean-Michel Poisson, présent depuis les origines, m’a fait l’amitié de relire et d’amender ce travail. Jacques Chiffoleau, Jean-Louis Gaulin et Nicolas Carrier m’ont eux aussi fait profiter de leurs conseils bienveillants. L’arrivée de mon fils, entre temps, a pimenté encore un peu la fin de la partie. C’était une œuvre d’étudiant, une œuvre de jeunesse et d’apprentissage ; arrivé au milieu de ma vie professionnelle, il a fallu en réécrire bien des chapitres. Terminée sur le tard, elle n’est pas sans défaut, ce qu’elle avait de neuf à l’époque de mes débuts, il y a plus de vingt ans, est un peu émoussé aujourd’hui car la recherche a progressé. J’espère toutefois qu’elle livrera une image renouvelée d’un patrimoine encore bien méconnu. La recherche archéologique sur le terrain ne peut être menée en solitaire, sans la contribution des amis, des collègues, des étudiants, des bénévoles de tous horizons qui participent aux chantiers. Qu’ils trouvent ici ma sincère gratitude : - au Mayet-d’Ecole (2002-2003) : Jon Bernt, Camille Blancher, Vincent Buccio, Amélie Chanet, Marie Charbonnel, Evelyne Chauvin-Desfleurs, Mathias Delmotte, Alice Dionnet, Eliane Fairon, Sophie Latouille, Mariecke Fernandez de Heredia, Julien Guillon, Karen Jeantelet, Sophie Martin, Audrey Martin, Hervé Miraton, David Morel, Mylène Navetat, Sophie Nicolas, Veronika Nova, Valérianne Pace, Veerle Pauwels, Julien Plantin, Isabelle Pignot, Emilie Roches, Nadia Saint-Luc, Maya von Moos, Seraina von Moos, David Zmyslowski. - à Saint-Cirgues-de-Malbert (l’Hôpital-Chaufranche, 2004) : Elisabeth Blanc, Evelyne Chauvin-Desfleurs, Marieke Fernandez de Heredia, Julien Guillon, Karen Jeantelet, Mickaël Journet, Sophie Latouille, David Morel, Claire Mounier, Mylène Navetat, Sophie Nicolas, Julien Plantin, Nadia Saint-Luc, Rodolphe Valeix. - à Carlat (2004-2006) : Sébastien Bauvet, Rémi Carme, Sébastien Champeyrol, Marie Charbonnel, Evelyne Chauvin-Desfleurs, Hervé Cochard, Julie Conan, Laurent Fiocchi, Sophie Latouille, Geneviève Gascuel, Julien Guillon, Sandra Marcadet, Émilie Marchadier, Damien Martinez, Hervé Miraton, David Morel, Claire Mounier, Laurence Murat, Mylène Navetat, Julien Plantin, Xavier Rivière, Nadia Saint-Luc, Gaëlle Tendraien, Rodolphe Valeix, Elsa Vidil, A. Yonnet  
















LA CROISADE ET LA GENÈSE DES ORDRES RELIGIEUX MILITAIRES En 1095, à Clermont, le pape Urbain II appelait les chrétiens et, en premier, lieu la chevalerie occidentale, à libérer les lieux saints, c’est-à-dire à conquérir Jérusalem, alors aux mains des califes fatimides du Caire. Contribuant à forger une doctrine chrétienne de la guerre sainte, calquée sur le djihad musulman, Urbain II amorçait ainsi le mouvement des croisades  à l’occasion d’un concile tenu au siège épiscopal de la cité des Arvernes. Promoteur de la Réforme grégorienne et de la « Paix de Dieu », Urbain II cherchait avant tout à canaliser les forces guerrières de la société occidentale vers un but théologiquement louable et à endiguer du même coup la violence qui décimait les rangs de la chevalerie et entraînait la spoliation des biens de l’Eglise4 . La prise de Jérusalem en 1099, fruit d’un engouement immense et de la prise de la croix par des milliers de pèlerins de tout l’Occident, s’est accompagnée de la fondation de quatre royaumes francs sur la rive orientale de la Méditerranée : le comté d’Edesse, la principauté d’Antioche, le comté de Tripoli et le royaume de Jérusalem. La mission des croisés se transforma en mission de conservation et de protection des lieux saints. Autour de la basilique du Saint-Sépulcre, édifiée par l’empereur Constantin au IVème siècle sur le lieu de la crucifixion et du tombeau du Christ et reconstruite par les croisés au début du XIIème siècle, gravitait une confrérie de chevaliers engagés pour sa défense. Deux chevaliers s’y étaient associés, Godefroid de Saint-Omer qui  en faisait partie vers 1101 et, vers 1113, Hugues de Payns, croisé originaire de Champagne5 . Sous l’impulsion d’Hugues, quelques années plus tard, en 1120,  les deux hommes et sept autres chevaliers  décidèrent de fonder une milice dévouée au service du Christ et à la protection des pèlerins et de la Terre Sainte6 .  Ils reçurent un soutien immédiat du roi de Jérusalem Baudoin II qui les installa dans la mosquée Al-Aqsa sur l’esplanade du Temple de Jérusalem, duquel ils tirèrent leur nom. La nouvelle milice reçut sa justification théologique au concile de Troyes en janvier 1129, puis elle prit son essor, soutenue par saint Bernard dans son De laude novae militiae vers   11317 . Dotée d’une règle, elle devint un ordre religieux, mais d’un type particulier encore inédit, le premier ordre religieux militaire de la Chrétienté, le Temple, donnant naissance à la figure du moine   chevalier8 .  La naissance d’un ordre religieux  et militaire marqua un tournant dans l’histoire de la chrétienté : au-delà du fondement religieux de la guerre que légitimait la croisade, des moines acceptaient de tuer au nom de Dieu. L’expérience religieuse initiée par les Templiers suscita des vocations, en particulier dans l’ordre de l’Hôpital de Saint-Jean qui réforma ses statuts. Vers 1070, des marchands d’Amalfi, en pèlerinage à Jérusalem, avaient fondé un hospice chrétien appelé le « Monastère des Latins », placé sous l’invocation de saint Jean l’Aumônier et destiné à accueillir et à soigner les pèlerins. Il fut providentiel lors de la prise de Jérusalem le 15 juillet 1099. Il était dirigé par un certain Gérard, peut-être originaire d’Amalfi ou de Martigues. L’hospice prospéra et Gérard l’érigea en ordre religieux. Saint Jean Baptiste remplaça vers 1110 saint Jean l’Aumônier comme patron de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem. Le   15   février   1113,   l’ordre reçut sa consécration officielle : ses statuts venaient d’être approuvés par une bulle du pape Pascal II. Raymond du Puy, qui succéda  à Gérard après sa mort vers   1120, transforma  au cours de son magistère la vocation originelle de l’ordre et lui ajouta la défense des pèlerins et des Etats Latins d’Orient9 . La date exacte de cette modification fondamentale est inconnue, mais dès 1136, l’ordre tient des châteaux en Terre Sainte et au plus tard en 1160 il participe à des combats10 . La règle de Raymond du Puy est acceptée par le pape Eugène III en 1152. Durant plus d’un siècle et demi, jusqu’à la fin du XIIIème siècle, les ordres militaires participèrent à la défense des royaumes chrétiens d’Orient et tinrent de nombreuses   forteresses   qui ont marqué l’évolution de l’architecture militaire :   Chastel-Blanc,   Château-Pèlerin,   Tortose pour le Temple ;   Acre, le Krak des Chevaliers, Margat, Belvoir pour l’Hôpital, pour ne citer que les plus importantes et les plus célèbres de ces fortifications11 (fig. 1). Mais les activités de ces ordres coûtaient cher et, pour les financer, ils bénéficièrent de donations pieuses   en   abondance :   ils   reçurent   d’immenses domaines   en   Occident qu’ils   vouèrent   à l’agriculture afin d’en retirer un bénéfice suffisant pour entretenir leurs châteaux et leurs garnisons en Terre Sainte. Les donations affluent dans tout l’Occident, d’abord de la part des familles chevaleresques investies dans les croisades, reconnaissantes du rôle joué par les deux ordres en Orient et heureuses de trouver dans une institution religieuse une expression de leurs aspirations spirituelles et sociales. En Occident, les premiers domaines du Temple sont constitués dès les années 1120, autour de Payns notamment, puis se multiplient dès 1130 en Champagne, en Bourgogne, en Provence, en Italie et dans la péninsule Ibérique… Vers le milieu du XIIème siècle, les Templiers et les Hospitaliers s’établirent en Auvergne comme ailleurs grâce aux dons des lignages nobles et, en moins de deux siècles, ils développèrent un patrimoine important qu’ils intégrèrent au réseau de leurs possessions occidentales : les commanderies. Les Templiers puis les autres ordres militaires   à  leur suite, ont mis   en  place un système administratif basé sur le   versement  d’une contribution financière annuelle au chef de l’ordre par ce réseau de commanderies, dont la collecte était assurée par un   échelon   régional   intermédiaire, la province chez les Templiers, la Langue chez les Hospitaliers. La responsio,   dispositif spécifique aux ordres militaires, leur   a   permis de contribuer significativement   à l’effort de croisade   et  de former, pendant deux siècles, la principale force militaire chrétienne permanente en Orient, qui supposait une « complémentarité étroite entre le front et l’arrière »12 . LA COMMANDERIE, « INSTITUTION DES ORDRES MILITAIRES » EN OCCIDENT, SUPPORT DE LA DÉFENSE DES ETATS LATINS D’ORIENT ET SOUTIEN DES CROISADES La « commanderie » est une structure propre aux ordres religieux militaires, qui naît dès le début des années 1130 dans l’ordre du Temple, même si l’Hôpital avait déjà des couvents en Occident dès 1101, à Saint-Gilles et Messine13 : on la retrouve chez les Templiers, les Hospitaliers de Saint-Jean, les Hospitaliers de SaintAntoine, les Teutoniques. Il s’agit bien d’une institution qui regroupe un ensemble de bâtiments, de terres et de droits qui forment une seigneurie ecclésiastique, selon la définition donnée par Philippe Josserand : « la commanderie   n’était  ni un couvent, ni une grange, ni une simple maison : fréquemment investie d’un contenu matériel, elle doit être avant tout appréhendée comme un mécanisme institutionnel dont la gestion était déléguée à un frère, le commandeur, qui, dans des limites assez étroites, se chargeait d’en développer les ressources pour le bénéfice de son ordre » 14 . Dans la région que nous étudions, les textes médiévaux en latin n’utilisent jamais le terme de commanderie. Il n’existe que dans les textes en langue vernaculaire et en français et constitue la traduction, certes non littérale, du mot latin preceptoria. Mais, là encore, ce terme n’est pas le plus fréquemment employé. Il s’agit du terme de domus, maison, qui sert à qualifier presque toutes les implantations du Temple et de l’Hôpital, excepté les églises qui, lorsqu’elles sont le seul élément en présence, sont toujours distinctement identifiées (ecclesia ou ecclesia parochialis). La domus désigne bien ici, comme la commanderie, à la fois « l’institution […], la communauté religieuse, la maison dans sa réalité matérielle comme lieu de vie de cette communauté » 15 . La preceptoria est dirigée par un preceptor, le commandeur, qui a charge du temporel de la maison qu’il dirige et de la communauté des   frères   qui vivent   au   sein de la commanderie 16 .   Le terme vernaculaire est notamment utilisé par les   chartes   du Temple du Puy,   qui utilisent   à   plusieurs reprises le terme de « comandaire de la maiso del Temple » ou de « comendador del Poi » vers 1190-121017 . Le commandeur a la tâche de gérer un ensemble de terres, de bâtiments et d’hommes pour le compte de son ordre. Le concept recouvre une notion de pouvoir, d’autorité, il s’étend donc bien au-delà des limites des bâtiments et couvre l’ensemble des possessions dépendant du chef-lieu, y compris les dépendances. Ce pouvoir peut être délégué à un procureur  (procurator). Cependant,  à  partir du XIVème siècle, cette notion se limite parfois   à  un simple membre de la commanderie, qui dans les textes peut posséder son propre preceptor, tandis qu’il dépend d’une commanderie plus importante. Au sein de la communauté, la charge des âmes est assurée par un chapelain, prêtre de son ordre. Loin de constituer un cadre de vie érémitique, la commanderie accueillait toute une population qui gravitait autour des   frères :   les donats, des laïcs qui   souhaitaient   vivre   en confraternité et s’engageaient dans la vie communautaire sans prononcer de vœux, équivalents des convers ou des oblats des autres ordres, mais aussi les familiers, c’est-à-dire la population qui travaillait pour les frères en échange d’un salaire (servantes, forestiers, conducteurs d’attelages, métayers…). Alors que le terme de bajula ou bailivia, la baillie, est employé de manière généralisée pour l’Hôpital en Provence à partir du milieu du XIIIème siècle18 , il n’apparaît en Auvergne que tardivement19 . En 1373, l’enquête diligentée par le pape Grégoire XI, qui dresse l’état des lieux de toutes les maisons de l’Hôpital des diocèses de Clermont et de Saint-Flour, n’emploie ce terme que dans un seul cas, celui de la maison d’Olloix pour laquelle sont juxtaposés les termes de domus, de preceptoria et de baiula, que l’on pressent équivalents à ceci près qu’Olloix est rattachée directement au prieur d’Auvergne : frère Hugues de la Serre, pourtant simple sergent de l’ordre, est qualifié de bailli et régent de la baillie d’Olloix au nom du prieur (baiulus et regens dictam bayliviam doloys pro dicto priore arvernie) et l’on trouve ensuite successivement les mentions a dicta baylia seu domo doloys et in dicta domo seu preceptoria doloys20 . La baillie n’apparaît pas ici comme une circonscription supérieure à la maison mais son strict équivalent du point de vue administratif, si ce n’est que le prieur en est le bénéficiaire. Ce cas préfigure-t-il les « bailliages capitulaires » institués au XVème siècle, qui donnaient à leurs bénéficiaires le titre de « bailli par chapitre » et une voix délibérative au chapitre général de l’ordre21 ? Nos sources sont trop imprécises pour attester ce fait. Dès le milieu du XIIIème siècle, apparaissent des subdivisions du temporel en rangs hiérarchiques basés sur l’identification de l’institution comme corps : en 1239, l’épitaphe du prêtre Arnoul  à Montbrison évoque la tête (caput) et les membres (membra) de la maison dont il était commandeur22 . Si l’organisation en « chef » et en « membres » apparaît de manière précoce, le temporel des ordres militaires n’est pas resté figé au cours du Moyen Âge et il convient de ne pas trop se fier à la morphologie des commanderies telle qu’elle est livrée par les sources et les inventaires d’Epoque moderne. Aux XIIème et XIIIème siècles, hormis le terme de domus, on ne trouve principalement que la dénomination preceptoria ou grangia. Puis, au cours du Moyen Âge, la fonction d’un même   établissement   a   pu  évoluer   en   même temps que ses bâtiments et ses habitants, provoquant des recompositions des circonscriptions administratives. Les termes et les rangs des maisons ne se fixent qu’avec lenteur et évoluent au fur et à mesure que les crises et les guerres réduisent le nombre des résidents, mettent à terre les bâtiments et provoquent enfin l’abandon et la ruine de certaines anciennes commanderies. Ainsi, une maison appelée preceptoria aux XIIème et XIIIème siècles peut se trouver qualifiée de domus unita23 ou de membrum dans l’enquête pontificale de 1373 sur l’ordre de l’Hôpital, et le lien de sujétion est bien marqué24 . Parfois, ces membres, comme celui de Chazelles pour la commanderie de La Tourette, sont dans une telle ruine que les visiteurs de la Langue d’Auvergne au XVIIème siècle ont « jugé n’estre pas trop necessaire d’y aller ». De nombreuses commanderies furent délaissées et leurs bâtiments ruinés à la suite de la guerre de Cent Ans, puis des guerres de Religion. De ce fait, en 1615, certaines possessions qualifiées de membres ne recouvrent plus que la réalité d’un village dont les habitants versent des cens et des rentes aux Hospitaliers et d’une église dont la cure est à la collation de l’ordre. Le terme d’annexe désigne quant à lui le plus souvent des bâtiments agricoles, comme une grange ou un moulin, parfois de simples terres ou une église appartenant à l’ordre et dont les bénéfices lui reviennent. Un membre pouvait lui-même posséder un ou plusieurs membres ou  annexes25 :  Ydes, qui   était   rattachée   à  Pontvieux, possédait elle-même deux membres, Courtilles et Longevergne. Les établissements fondés par les ordres militaires en Occident avaient des ampleurs très variables et leur importance reflétait l’ampleur de la seigneurie à la tête de laquelle ils se trouvaient. En fonction de leur assise foncière et financière, les maisons pouvaient posséder une ou plusieurs dépendances agricoles, nommées granges (grangia). L’identification du rang hiérarchique d’une implantation est parfois malaisée : en effet, le terme de domus, que l’on trouve fréquemment seul pour désigner une implantation, est mis en équivalence dans les textes aussi bien avec preceptoria, qu’avec le terme grangia. Or, ces deux fonctions apparaissent bien diversifiées   au  regard des textes   médiévaux   aussi bien que modernes :  preceptoria est parfois mis   en équivalence avec  fortalicium  au XIVème siècle, ce qui n’a jamais lieu avec  grangia, et insiste sur le caractère fortifié de la commanderie26 ;  de même, on ne trouve   jamais  l’équivalence  grangia seu preceptoria,  mais seulement domus seu grangia ou domus seu preceptoria. Parallèlement, l’équivalence grangia seu boria montre le caractère également spécifique des granges, qui n’est pas le même que celui des commanderies. Le terme de grange peut ici être rapproché de la notion de grange chez les Cisterciens : plus qu’un simple bâtiment à stocker les récoltes de grains, elle recouvre le sens d’une exploitation agricole autonome27 . Cependant, si la grange a une vocation spécifiquement agricole, la domus a également cette fonction. Seuls la multiplication des mentions et le croisement des informations données par différents textes peuvent permettre d’identifier le rang et la fonction d’une implantation. À la lumière de cette terminologie, il convient de s’interroger sur le concept même de « commanderie » et sur ses composantes.  Quelles réalités institutionnelles et matérielles recouvre-t-il ?  À  l’instar d’un château et d’une châtellenie, la commanderie est tout d’abord une seigneurie qui regroupe des droits et des devoirs sur des terres et des hommes, une mosaïque de terres reçues au gré des donations inégalement réparties sur le territoire,   qu’il faut   aménager   et exploiter, un   réseau  de dépendances qu’il faut bâtir, administrer  et entretenir. Par métonymie, le mot désigne ensuite un bâtiment ou plutôt un groupe de bâtiments ; il est en quelque   sorte un  équivalent  d’abbaye ou de prieuré,   avec   cette différence qu’il appartient  à  un ordre militaire. Aujourd’hui, le terme de « commanderie » est passé dans la toponymie et désigne aussi bien les bâtiments dans lesquels vivaient les frères que la seigneurie au centre de laquelle se trouvaient ces bâtiments. Dans les maisons d’Occident,   les   fonctions sont  globalement  les mêmes que celles d’un   monastère traditionnel. Bien entendu, les  frères du Temple et de l’Hôpital sont avant tout des clercs :  ils assistent à l’office, vivent une existence religieuse collective régie par une règle et leurs établissements sont dotés d’une chapelle qui, lorsqu’elle obtient des droits paroissiaux, contribue à l’encadrement spirituel de la population environnante. En tant que seigneurs ecclésiastiques, ils possèdent des terres que leurs paysans cultivent et perçoivent des redevances : ils ont donc des bâtiments agricoles (granges, au sens propre cette fois, étables, greniers, cuvages, colombiers…)., des fours et des moulins banaux. Mais ici se pose la question des spécificités des établissements des ordres militaires. De quelle manière leur rôle primordial en Terre Sainte, puis en Méditerranée pour l’Hôpital, leur vocation à financer leurs activités bien au-delà des royaumes chrétiens, ont-ils pu déterminer certains caractères topographiques, fonctionnels 

ou  architecturaux des  commanderies ? L’origine aristocratique et la vocation militaire des chevaliers du Temple et de l’Hôpital, de même qu’une certaine habitude des fortifications prise en Terre Sainte, ont-ils favorisé le développement d’éléments de défense dans les commanderies ? On ne peut parler ici de châteaux, car les établissements étudiés n’ont que peu de rapport en taille et en résistance avec les castra des seigneurs laïques. L’architecture et la topographie de la commanderie est parfois ainsi résumée : un site clos de murs, parfois entouré d’un fossé, regroupant des bâtiments qui s’organisent souvent autour d’une ou plusieurs cours28 , ce qui la rapproche souvent du type de la maison forte. Le vocabulaire les rapproche également : le terme domus est lui aussi fréquemment employé pour les maisons fortes, mais ce n’est pas le plus discriminant du point de vue des fonctions ; bien plus précis est le terme de fortalicium que l’on trouve à partir du XIVème siècle pour décrire de nombreuses maisons. Dans l’étude qui va suivre, l’examen croisé des archives, des sites et des bâtiments visera, en premier lieu, à établir le contexte de la formation des domaines des ordres militaires, leur structuration spatiale et leurs mutations au cours des quatre derniers siècles du Moyen Âge  (I ère partie). En deuxième lieu, il visera à caractériser la commanderie comme cadre de la vie conventuelle et religieuse des frères du Temple et de l’Hôpital, mais aussi comme cadre de l’exercice du pouvoir seigneurial des ordres militaires (IIème partie). En troisième lieu, l’organisation topographique des maisons sera examinée, ainsi que ses variations en fonction de leur rang dans l’ordre et de la taille de la communauté qu’elles hébergeaient, de leur situation urbaine ou rurale  (IIIème partie). Enfin, l’examen des caractères architecturaux des bâtiments et de leur évolution au cours des siècles permettra d’aborder les adaptations nécessitées par les circonstances historiques et sociales, l’évolution des communautés   et  de leur mode de vie, l’expression des aspirations aristocratiques des chevaliers, mais aussi de circonscrire les points communs et les différences entre les commanderies, les établissements religieux plus conventionnels et les résidences nobiliaires (IVème partie). LES CADRES DE L'ÉTUDE L’historiographie des ordres religieux militaires est   marquée   depuis le XIXème siècle par un double mouvement : l’étude des ordres en général d’une part, le plus souvent à l’échelle de la Méditerranée, de l’Occident ou d’un ou plusieurs royaumes   –   à  travers leur  genèse,  leur rôle dans les croisades, leurs institutions29  – et l’étude de leurs possessions d’autre part, qui s’est toujours inscrite dans un cadre territorial
restreint, voire monographique30 . Encore très dispersées, d’ampleur inégale, fondées sur des méthodologies très variées en fonction des sources disponibles et des problématiques interrogées, les études régionales ou monographiques fondent pourtant la connaissance du patrimoine foncier et immobilier des ordres du Temple et de l’Hôpital, de leur insertion dans la société, de leurs modes de gestion des hommes et des terres, de la vie quotidienne des  frères dans les maisons d’Occident. J’ai, pour ma part, abordé la question des commanderies sous l’angle de leurs caractères matériels : la formation et l’évolution des commanderies et de leur temporel tout d’abord, recomposé tout   au   long du Moyen Âge ;   les structures spatiales et institutionnelles,   à travers l’insertion des maisons dans le tissu social, géographique et économique  du territoire ; la nature, les fonctions et l’organisation du lieu de vie de la communauté des frères, que les textes d’Epoque moderne nomment la « maison de la commanderie » ; enfin, autant que faire se peut, l’architecture des bâtiments et les mutations qu’elle connaît au fil des siècles, révélatrice tout à la fois des cadres de vie et des mentalités. Au commencement de cette recherche, le cadre géographique et administratif choisi   était   celui de l’Auvergne, grosso modo dans son acception administrative du début du XXIème siècle qui trouvait des échos historiques dans les anciennes provinces de l’Auvergne, du Bourbonnais et du Velay, mais aussi dans les anciens cadres diocésains. Toutefois, la définition de ce cadre géographique de l’Auvergne « actuelle », pour autant qu’elle ait encore une existence depuis la fusion des Régions votée en 2015 qui l’a conduite à devenir partie intégrante du vaste territoire Auvergne-Rhône-Alpes, posait problème. Le plus logique eût été de sélectionner une circonscription administrative propre aux ordres militaires. Les possessions du Temple dans le royaume de France  étaient   en   effet   divisées   en  quatre  « provinces » :  la Provence, la   France, l’Auvergne et l’Aquitaine31 . La province d’Auvergne (ou parfois Limousin-Auvergne)  apparaît vers 1180- 1190,  mais ses contours sont flous, nous   y  reviendrons.  Il  en   était de même pour l’Hôpital dont les possessions étaient divisées  en  « langues » ou  « nations » ; celles-ci étaient composées d’un ou plusieurs « grands prieurés ». La Langue d’Auvergne s’est formée vers 1243  à l’initiative du prieur de Saint-Gilles Bertrand de Barres, alors que l’ordre est déjà implanté de longue date, à partir d’un démembrement des Langues de France et de Provence32 . Elle n’avait qu’un seul grand prieuré dont le siège a varié au cours du Moyen Âge (Montbrison, Montferrand, puis Bourganeuf) ; elle  s’étendait bien au-delà de l’Auvergne, du Limousin au Genevois en passant par l’Auvergne, le Velay, le Lyonnais et une partie du Berry et de la Bourgogne33  (fig. 1). Cependant, le choix de ces circonscriptions, s’il avait le mérite de se placer dans des ensembles délimités et organisés par les ordres militaires eux-mêmes, présentait l’inconvénient d’englober une surface très vaste, trop pour permettre une étude détaillée de chaque commanderie dans le cadre qui m’était imparti. Dès lors, quelles limites géographiques choisir ? L’Auvergne était au Moyen Âge une entité encore floue et changeante, sans unité politique34 . Terre comtale, partiellement annexée à la couronne royale par Philippe Auguste au XIIIème siècle, l’Auvergne fut donnée en apanage à Alphonse de Poitiers en 1241 avant de réintégrer le domaine royal en 1271. Dans la partie nord, la seigneurie puis le duché de Bourbon ont été constitués à partir de démembrements des terres du comté d’Auvergne, du Nivernais, du Berry et du Forez.  Au sud-est, le Velay était un comté aux mains des évêques du Puy. Or, il fallait trouver pour cette étude un cadre stable durant tout le Bas Moyen Âge. Le cadre diocésain répondait à ce critère : les limites des diocèses de Clermont et du Puy restèrent pratiquement inchangées aux XIIème et XIIIème siècles et, en 1317, la création du diocèse de Saint-Flour ne fit que scinder  en  deux parties l’ancien territoire du diocèse de Clermont35 . Il semblait donc logique de mener cette étude dans le cadre des diocèses de Clermont et du Puy dans un premier temps, puis des diocèses de Clermont, de Saint-Flour et du Puy après 1317, sans que la zone d’étude ne varie pendant toute la période considérée (fig. 2). Le cadre chronologique était quant à lui plus évident. Il me fallait en effet retracer l’histoire des ordres militaires en Auvergne depuis leurs premières implantations, c’est-à-dire dans le courant du XIIème siècle, jusqu’à la dissolution de l’ordre en 1312 pour le Temple, et jusqu’à la fin conventionnelle du Moyen Âge pour l’Hôpital, c’est-à-dire la fin du XVème siècle ou le début du XVIème siècle. Au lieu d’interrompre notre étude au début du XIVème siècle, au moment du procès des Templiers, notre choix d’embrasser tout le bas Moyen Âge était dicté par la nature des vestiges matériels de commanderies : les édifices des XIIème et XIIIème siècles qui nous sont parvenus sont finalement peu nombreux et tenter d’approcher l’architecture des deux ordres en oblitérant le corpus des XIVème  et XVème siècles nous paraissait vain et peu représentatif. Nous avons   arbitrairement choisi de constituer notre corpus de chartes jusqu’à la date de  1500. Cela n’a pas empêché le recours à des documents plus récents, les archives du XVIème  au XVIIIème siècle, mais aussi les  documents révolutionnaires et les plans cadastraux napoléoniens, qui sont d’un intérêt certain pour l’étude archéologique et architecturale des maisons des ordres militaires. FAIRE FLÈCHE DE TOUT BOIS : LES SOURCES ET LES MÉTHODES D'UNE APPROCHE PLURIDISCIPLINAIRE Les trois diocèses médiévaux choisis étaient-ils le cadre le plus adapté ou le plus riche de promesses pour interroger la notion de commanderie ? Sans doute n’étaient-ils ni meilleurs ni pires que les  autres, mais plutôt révélateurs d’une situation moyenne de la documentation historique et archéologique en France et d’un état de la   recherche,   encore très partielle   et   lacunaire.   Comme dans de nombreuses régions, le patrimoine écrit et monumental laissé par les ordres militaires est très contrasté et rarement homogène : les archives sont conservées de manière très variable, la plupart des commanderies et de leur dépendances n’étant connues que par quelques actes dispersés. Du point de vue des traces matérielles, les guerres puis les transformations et démolitions de sites après la Révolution ont laissé des vestiges nombreux mais souvent réduits aux édifices religieux qui sont les mieux préservés. Les maisons urbaines ont, pour la plupart, disparu en totalité ou en grande partie ou ont été très transformées à l’Epoque moderne, ne laissant que très partiellement percevoir la morphologie de leur architecture primitive. La diversité de l’objet d’étude et les lacunes des sources  écrites  comme des   vestiges matériels contraignent de fait  à l’utilisation de sources multiples et à l’adoption d’une démarche pluridisciplinaire. Pour l’Auvergne et le Velay, l’historiographie est modeste et reste en majorité le fait d’érudits qui ont retracé le développé d’un ordre dans une zone géographique assez étroite ou la formation d’une commanderie. La plupart du temps, ces études ne mettent à profit que les archives, sans forcément en fournir la transcription ou l’édition,   et   basent   leur description du territoire couvert par les commanderies sur les   inventaires d’Epoque moderne, ce qui ne reflète que partiellement la réalité médiévale. Enfin, les publications ne sont pas homogènes sur tout le territoire. En matière d’édition de sources, les travaux sont restés partiels et sont dus majoritairement aux érudits du XIXème siècle, à commencer par Augustin Chassaing qui s’est attaché à éditer   en   1882   et   1888  les   actes  des Templiers et des Hospitaliers   en   Velay,   à  travers deux chartriers recomposés36 . L’édition des pièces du procès des Templiers dans le diocèse de Clermont a été proposée par Roger Sève, dont le travail préliminaire a été mené à terme en 1986 par sa fille, Anne-Marie Chagny-Sève37 ; cette édition offre un corpus remarquable de témoignages qui listent une grande partie des maisons du Temple et des Templiers du diocèse de Clermont.  Ensuite, les éditions sont plus dispersées, dans les cartulaires des autres ordres et dans les chartriers des institutions civiles et religieuses. Première grande synthèse, les commanderies des trois diocèses de Clermont, de Saint-Flour et du Puy ont été partiellement 

étudiées par Léopold Niepce en 1883 dans son ouvrage consacré au grand prieuré d’Auvergne de l’ordre de l’Hôpital38 , mais les localisations et les attributions qu’il propose sont parfois fautives. Quelques études locales offrent une lecture du développement des ordres militaires : Hippolyte Bouffet a étudié plus en détail les implantations du Temple   et  de l’Hôpital  en  Haute  Auvergne39 ;  Jean-Marie Froment  a proposé des synthèses sur les deux ordres en Bourbonnais40 ; Pierre Vial a analysé la genèse des maisons du Temple en Velay, suivi plus récemment par Pierre-Eric Poble pour les maisons de l’Hôpital41 . Des monographies et des articles ont également été consacrés à différentes commanderies42 , mais aucune étude ne reprend de manière globale l’histoire des ordres militaires dans l’Auvergne actuelle. Ces éléments relativement nombreux mais disparates appelaient donc une mise au point plus générale. De  nombreuses  archives médiévales sont encore inexploitées. Un certain nombre de maisons des ordres militaires ont conservé des cartulaires ou des chartriers importants, composés de plusieurs centaines  de chartes,   à   l’image de Saint-Gilles, de   Douzens   ou du Masdéu43.  Ce   n’est pas le cas des diocèses qui constituaient l’ancienne Auvergne et le Velay où l’on peine à atteindre 600 chartes pour tout le territoire de 1132 à 1500. La guerre de Cent Ans puis les guerres de Religion ont fait disparaître un nombre important des archives conservées dans les commanderies au Moyen Âge. Jusqu’au XVIIème siècle, les archives de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem, de Rhodes, puis de Malte sont conservées dans les commanderies, dans une pièce qu’on appelait le Trésor, où étaient surtout gardés les terriers permettant la perception des droits de la commanderie. Les archives templières furent mêlées à celles de l’Hôpital dès la dévolution des biens du Temple aux Hospitaliers en 1314. Ce n’est qu’au XVIIème siècle que l’ordre entreprend le classement de ses archives44 . Un premier inventaire est réalisé en 1640, puis Christophle Néron, archiviste du grand prieuré d’Auvergne, réalise un second inventaire en 1674. Le siège du grand prieuré d’Auvergne est transféré à Lyon


au XVIIème siècle en même temps que les archives de l’ordre. Au XVIIIème siècle, un nouvel inventaire est dressé par Joseph Batteney de Bonvouloir, archiviste et généalogiste de l’ordre, en  1749. Cet inventaire, divisé en autant de chapitres qu’il y avait de commanderies dans la Langue d’Auvergne, nous permet de connaître l’état des archives avant les pertes occasionnées par la Révolution et la dispersion des documents dans les différents fonds d’archives départementales et nationales. Après la Révolution, les   archives du grand prieuré d’Auvergne sont confisquées par l’Etat, de même que ses biens. De multiples déplacements ont occasionné la perte de nombreux actes. Au XIXème siècle, les archives conservées jusque là à Lyon sont réparties dans différents fonds : Archives Nationales, Bibliothèque Nationale, Archives Départementales de l’Ain, de l’Allier, de l’Ardèche, de la Charente, du Cher, de la Corrèze, de la Creuse, de la Haute-Loire, de la Haute-Saône, de la Haute-Vienne, de l’Indre, de l’Isère, du Jura, du Puy-de-Dôme, de la Saône-et-Loire, de la Loire et du Cantal, départements que la Langue d’Auvergne recouvrait. Signalons d’autre part l’existence à La Valette, sur l’île de Malte, d’un important fonds que nous n’avons pas consulté. Enfin, les Archives du Vatican (Archivio Apostolico Vaticano) renferment elles aussi des documents concernant l’histoire des ordres militaires, en particulier les procès-verbaux de l’enquête pontificale de 1373 sur l’ordre de l’Hôpital parmi lesquels sont conservés ceux des diocèses de Clermont et de Saint-Flour, nous les évoquerons en détail. Les sources  écrites  sont donc contrastées. Le nombre des actes conservés est relativement important, mais varie considérablement d’une commanderie à l’autre45. Certaines possessions des ordres militaires ne sont connues que par une simple mention ou un toponyme, tandis que  quelques commanderies conservent plusieurs dizaines d’actes et terriers médiévaux. Là encore, la situation n’est pas uniforme dans le temps : contre plusieurs dizaines d’actes des XIIIème et XIVème siècles conservés pour la commanderie de La Racherie, on ne trouve qu’une source mentionnant le Mayet-d’Ecole au XIIIème siècle et plusieurs terriers du début du XVème siècle.  Dans le diocèse du Puy, les actes signalant la présence des deux ordres apparaissent dès les années 1130, puis se multiplient à partir de 1150, tandis que le diocèse de Clermont ne regroupe presque aucun acte avant 1200. Très diverses, les archives regroupent aussi bien des actes de donation, des actes concernant la gestion des terres, des censiers ou des terriers, des pièces de procès, des registres d’assises judiciaires ou des inventaires de biens meubles et immeubles qui permettent d’appréhender divers aspects de l’histoire des ordres militaires en Auvergne. Parallèlement, l’analyse des manifestations matérielles des commanderies des ordres militaires ne peut se passer d’investigations sur le   terrain.  La localisation précise des sites, la compréhension des bâtiments conservés  et  la restitution de l’évolution architecturale des maisons nécessitent une connaissance fine des sites et le recours aux méthodes de l’archéologie sous plusieurs formes : l’inventaire des vestiges matériels, l’évaluation du potentiel  archéologique des sites et, lorsque c’est possible, l’étude  archéologique du bâti conservé et/ou le recours   à des fouilles   au  sol qui peuvent  seules apporter des   éléments  concrets   à la connaissance sur les contextes d’implantation des maisons, les plans des sites, leur évolution, l’architecture 

des bâtiments et leur datation. Nous avons donc établi une série de monographies des maisons du diocèse de   Clermont  et  de leurs dépendances afin de constituer les fondements de notre réflexion46 . L’analyse monumentale des bâtiments complète et précise   largement  la vision que donnent les textes. Nombre d’aménagements   encore   en   place offrent des   renseignements   bien souvent occultés par les archives. L’observation du bâti, qui nécessite de dépasser le simple constat d’état superficiel et de s’immerger dans l’analyse archéologique des élévations appuyée sur des relevés détaillés, fournit un apport essentiel à la connaissance des édifices :   périodes de reconstruction, restitution des accès, des circulations et de la distribution de l’espace notamment. De plus, ces données remettent fréquemment en cause les datations permises par les textes et poussent à reconsidérer les dates d’implantation des commanderies. Le potentiel archéologique dans ce domaine est considérable, mais encore insuffisamment exploité. Les établissements des ordres militaires ont été, sauf exceptions, considérablement remodelés, détruits et reconstruits au cours de leur histoire, et en particulier aux XIVème et XVIème siècles, puis aux XIXème  et XXème siècles ; une ruine complète   a  parfois frappé ces bâtiments, les   faisant   entièrement  disparaître du paysage.  L’état visible aujourd’hui n’offre souvent qu’une pâle image de la réalité médiévale. Si les maisons urbaines ont presque partout subi les   affres  de l’urbanisation, sans protection ni conscience de leur intérêt  patrimonial, de nombreux établissements  situés  en zone rurale sont mieux conservés, ce qui ouvre des perspectives de recherches  archéologiques  intéressantes  portant sur l’évolution de la morphologie des commanderies. Ce type de recherche, qui nécessite des moyens lourds , n’a pu être mené que partiellement sur une poignée de sites, mais constitue une piste riche de promesses. De manière générale, notre méthode a été de confronter, à chaque fois que c’était possible, les données des sources écrites avec le terrain. Les actes de la pratique permettent d’approcher de manière progressive la formation des domaines, la constitution des   commanderies   et la gestion du temporel seigneurial, les hommes et les rares femmes qui vivaient dans les maisons. Toutefois, ils restent la plupart du temps muets sur les bâtiments, sauf lorsqu’un acte est passé « devant la chapelle », « dans la salle » ou « sous le portique » d’une église. Les accords de justice, les lettres patentes renseignent parfois sur des constructions neuves, mais aucun prix-fait ou compte de construction ne nous est malheureusement parvenu. Il faut bien souvent attendre le XVIème et surtout le XVIIème siècle pour connaître en détail la composition des maisons, à travers les procès-verbaux de visite ; hormis quelques inventaires datés de 1521, nous avons exploré pour l’essentiel le premier état des lieux global des maisons de la Langue d’Auvergne, dressé entre   1615  et   1617.  En complément, nous avons parfois eu recours à des documents postérieurs, plus détaillés ou mieux conservés, allant jusqu’à des visites   dressées   en   1789   à   la veille de la Révolution, voire   à   des   inventaires révolutionnaires réalisés pour la vente des Biens nationaux, qui fournissent d’utiles descriptions de sites. Toutefois, ces documents ne livrent qu’une image mentale des bâtiments, sans en fournir la matérialité d’un dessin ou d’un plan. Il faut attendre le milieu du XVème siècle avec deux représentations de maisons de l’Hôpital dans l’Armorial de Guillaume   Revel  (Olloix   et   Chaynat)47 ,  puis   1607  pour voir apparaître la première représentation d’une maison du diocèse du Puy, Saint-Jean-la-Chevalerie, dessinée par Etienne Martelange en même temps que la ville48, et enfin le milieu du XVIIIème siècle pour découvrir les premiers plans d’arpentage avec, au milieu des domaines agricoles, quelques-unes des commanderies et des membres qui étaient encore conservées ou  avaient été reconstruites. Pour obtenir un premier ensemble de plans, largement incomplet, il faut attendre le cadastre communal levé à l’initiative de Napoléon Ier : il offre pour une période située entre 1810 et 1840 un ensemble de documents qui livre un premier état planimétrique fiable,   mais les bâtiments sont déjà   largement   transformés, beaucoup ont disparu.   Rachetés   par des propriétaires privés après la Révolution, nombre de démolitions ont   eu   lieu pour  abattre   ces signes manifestes  de l’ancien ordre féodal, les sites   ayant   ensuite servi de   carrières  de pierres ou  ayant   été reconvertis en exploitations agricoles. La synthèse de ces différentes données offre, malgré les difficultés de l’exercice, une vision globale de l’architecture d’un certain nombre de commanderies et de leurs dépendances dont on peut suivre l’évolution depuis le XVIIème siècle au moins et parfois la faire remonter à la fin du Moyen Âge   en   la comparant aux   vestiges   sur le   terrain.   Pour aller au-delà des limites de cette documentation, l’analyse archéologique des sites a toujours été mobilisée, sous différentes formes, toujours en collaboration et sur autorisation des Services régionaux d’Archéologie. La prospection sur le terrain a été systématique  sur l’ensemble du territoire étudié ; elle a permis de localiser les sites, de les cartographier, d’examiner le contexte d’implantation, de dresser l’état des lieux à travers une description plus ou moins développée et une couverture photographique, souvent assortie de la réalisation d’un plan sommaire établi à partir des plans cadastraux napoléoniens. Lorsque des bâtiments   étaient   conservés   et   qu’ils   étaient accessibles, nous avons aussi souvent que possible dressé des plans de masse des chapelles ou des logis, complétant utilement les cadastres qui  restent toujours  à l’état de grandes parcelles bâties ou non, sans fournir de détail sur l’architecture. Dans certains cas, plus  rares, l’étude  a pu être approfondie par une analyse de bâti reposant sur des relevés plus détaillés, parfois « pierre à pierre », ou par des fouilles au sol. Nous reviendrons plus en détail sur ces différentes opérations. Les résultats de nos recherches sont présentés en trois volumes. Le premier volume livre le corps de la synthèse. Le deuxième volume regroupe, sous la forme d’un catalogue autonome, les monographies des différents sites que nous avons inventoriés, de manière à proposer au lecteur un état des connaissances acquises sur chacun des établissements des ordres militaires des trois diocèses étudiés. Le troisième volume présente trois ensembles documentaires : l’inventaire chronologique des sources d’archives concernant les commanderies étudiées, sous la forme d’un regeste organisé par ordre, le Temple d’une part et l’Hôpital d’autre part ; une sélection d’actes et de procès-verbaux de visite utilisés pour notre étude, pour la plupart inédits ; deux annexes relatives à l’étude archéologique des sites, l’étude céramologique du mobilier issu des  fouilles de la commanderie de   Carlat   (Cantal),   réalisée   par Stéphane Guyot, d’une part, et l’étude anthropologique des sépultures fouillées au Mayet-d’Ecole (Allier) par Karen Jeantelet, d’autre part.




Link Vol 1  


Press Here   , 674 Pages






















 
Link Vol 2 

Press Here , 540 Pages

















Link Vol 3 


Press Here  , 339 Pages










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